Dans le contexte actuel de recherche de bières plus aromatiques et de réchauffement climatique, la présente étude visait à investiguer la diversité génétique, chimique et aromatique des houblons sauvages de la région Hauts-de-France. Pour ce faire, 50 accessions sauvages ont été collectées par 2 chercheurs de l’Université de Lille en 2019 sur différents sites de la région, présentant des caractéristiques écologiques et/ou historiques intéressantes (Figure 1). La caractérisation génétique et chimique des accessions sauvages collectées in-situ a déjà été restituée dans une précédente publication[1].

carte prelevements houblons sauvages nord france

Figure 1. Carte de prélèvements des houblons sauvages (Paguet et al., 2023).

 

Ces travaux-ci concernent les caractérisations chimique et aromatique de ces mêmes accessions sauvages replantées au sein de notre houblonnière expérimentale installée au lycée de Douai-Wagnonville (59), en conditions dites ex-situ.

 

 

analyses houblons sauvages nord france

 

 

Caractérisation chimique

 

Au total, 39 génotypes ont produit suffisamment de cônes pour permettre leur caractérisation chimique, en utilisant la HS-SPME/GC-MS pour les composés volatils, l'UHPLC-UV pour la quantification des composés phénoliques, et l'UHPLC-IMS-HRMS pour la métabolomique non ciblée, et ont pu être comparés à 10 variétés commerciales et 3 variétés anciennes.

 

Analyse des composés volatils par HS-SPME GC-MS

 

La HS-SPME (Head-Space Solid Phase Microextraction) couplée à la GC-MS (Gas Chromatography - Mass Spectrometry) est une technique qui permet l’analyse rapide des composés volatils, sans préparation de l’échantillon.

fonctionnement HS SPME GC MS analyse composes volatilsjpg

Figure 2. Principe de fonctionnement de la HS-SPME GC-MS pour l’analyse des composés volatils.

 

L'identification putative des composés volatils par HS-SPME GC-MS a révélé la présence de 65 composés différents parmi les houblons étudiés dans le cadre de l'étude. Trente-deux composés ont été détectés en fixant un seuil à 1%. La majorité de ces composés sont des monoterpènes ou des sesquiterpènes, en particulier, le β-caryophyllène, le β-myrcène et l'α-humulène. Ils sont connus comme les principaux composés volatils du houblon et ont été détectés dans l’ensemble des accessions caractérisées. Le dendrogramme associé à la classification ascendante hiérarchique (CAH) (Figure 3) distingue 4 classes différentes d'accessions en fonction de leur teneur en composés volatils.

 

Dendrogramme CAH resultats analyse

Figure 3. Dendrogramme associé à la CAH sur les résultats de l’analyse des composés volatils par HS-SPME GC-MS, basé sur les 32 composés détectés à au moins 1% dans une accession (méthode de Ward, n=4). STP = Strisselspalt.

 

Le groupe bleu est principalement composé de cultivars commerciaux et anciens, ainsi que des accessions sauvages I3 et G2. Ces accessions se caractérisent par des teneurs élevées en composés volatils du houblon (α-humulène, β-myrcène, et β-caryophyllène. En revanche, les accessions commerciales Cascade, Fuggle et Strisselspalt, connues pour leur potentiel aromatique, se répartissent dans différents groupes contenant d'autres accessions commerciales connues pour leur potentiel amer. Les groupes vert et violet, représentés par différentes accessions, à la fois sauvages, anciennes et commerciales, ainsi que le groupe rouge, uniquement composé de quelques accessions sauvages, ont montré une teneur plus faible en terpènes non oxygénés majoritaires (α-humulène, β-myrcène et β-caryophyllène), mais présentent en revanche des teneurs plus élevées en composés volatils mineurs qui n'ont parfois pas été pris en compte dans la réalisation de cette classification (car inférieurs au seuil de 1%), comme le γ-muurolène (pour B4 et H4 en violet) ou l'α-cédrol (pour I8 en vert), connus pour leurs arômes boisés. La présence de certains sesquiterpènes particuliers dans quelques accessions sauvages ou commerciales a également été relevée, comme l'α-bergamotène (dans les accessions Cascade, Fuggle, H2, H3 et I8) ou le β-farnésène, l'α- et le β-sélinène, le β- et le γ-élémène surtout présents dans les accessions sauvages.

 

Quantification des composés phénoliques majoritaires par UHPLC-UV-MS

 

La quantification des composés prénylés majoritaires du houblon (xanthohumol, co-, n-, et ad- humulone, co-, n-, et ad-lupulone) a été réalisée sur des extraits bruts hydro-éthanoliques de cônes de houblon. Dans la globalité, les variétés commerciales ont montré des teneurs plus élevées en n-humulone, ad-humulone et xanthohumol, ce qui va dans le sens de leur potentiel amérisant ; contrairement aux accessions sauvages qui ont produit plus d’acides β. Néanmoins, quelques exceptions ont été notées pour le génotype sauvage I3 (déjà identifié pour sa composition en composés volatils proche de certaines accessions commerciales), I1, G2, B3, D3 et J3 qui ont montré des teneurs en humulone statistiquement comparables à celles des cultivars commerciaux ou anciens (de 1,274 % à 0,621 % de matière sèche). En revanche, la plupart des accessions sauvages présentent des teneurs en co-humulone et en β-acides non négligeables, ce qui aura un impact original sur l'amertume après brassage.

 

Analyses de métabolomique

 

Ces analyses étudient l’ensemble des molécules présentes dans les extraits hydro-éthanoliques. Elles révèlent une grande diversité chimique parmi les accessions sauvages étudiées et confirment la teneur importante des accessions commerciales en acides α. Ceci renforce l'opposition entre la composition chimique des accessions commerciales et celle des accessions sauvages, plutôt riches en acides β, bien que certaines accessions sauvages (I3 et G2 notamment) aient des compositions en composés volatils et en acides α proches de celle des variétés commerciales.

 

Caractérisation aromatique

 

Les 17 accessions sauvages les plus productives, ainsi que 2 variétés anciennes (Groene Bel et Record) et 7 variétés commerciales (Nugget, Strisselspalt, Cascade, Magnum, Brewers Gold, Target and Northern Brewers) ont été retenues pour des tests en brasserie. La seule variation de ces bières concerne le houblonnage aromatique réalisé avec les houblons étudiés afin de déterminer leur profil sensoriel. 27 bières (dont un témoin négatif) ont ainsi été brassées puis analysées par SBSE-GC-MS pour l’analyse de leur composés volatils et sur différents paramètres physico-chimiques (EBU, IBU, acidité totale, densité du moût et sucres résiduels), puis évaluées par un panel expert de 21 sujets entraînés sur 17 descripteurs de la bière (intensité de l'odeur, odeur de houblon, odeur de malt, odeur de fruit, intensité du goût, acide, amer, floral, houblon, agrumes, malt, sucré, épicé, fruits rouges, fruits jaunes, astringent et persistance de l'amertume). Les neuf descripteurs les plus significatifs ont été retenus pour la caractérisation des bières (odeur de houblon, odeur fruitée, intensité du goût, malt, houblon, agrumes, fruits jaunes, amer et persistance amère).

 

resultats analyse sensorielle houblons sauvage

 

Figure 4. Résultats de l’analyse sensorielle. A : Loading plot des 27 bières sur les dimensions 1 et 2 sur les données de la caractérisation sensorielle. Les individus ont été colorés en fonction de leur composition en composés volatils. L'observation "no-arom" correspond à une bière brassée sans houblon aromatique ; B : Loading plot des descripteurs sensoriels utilisés pour l'analyse sensorielle.

"SHoppy" : odeur de houblon ; "Hoppy" : houblon ; "Sfruity" : odeur fruitée ; "YFruits" : fruits jaunes ; "Itaste" : intensité du goût ; "Citrus" : agrumes ; "Malt" : malt ; "Bitter" : amer ; "BitterPers" : persistance amère ; C : Dendrogramme obtenu par classification ascendante hiérarchique (méthode de Ward, n=2).

 

Ces analyses ont confirmé le goût amer des bières brassées avec des houblons commerciaux dits amérisants (tels que Northern Brewers, Magnum, Brewers Gold ou Target) avec des teneurs élevées en acide α. Par ailleurs, le dendrogramme issu de la CAH (Figure 4C) oppose clairement le groupe composé de bières brassées avec des variétés commerciales d'un côté (en bleu) et un autre groupe composé de bières brassées avec des accessions sauvages de l'autre côté (en rouge). La séparation nette déjà observée pour l'analyse chimique des 52 échantillons se confirme donc après le brassage.

Néanmoins, les accessions I3 et G2 dont la composition chimique était assez proche des variétés commerciales sont cette fois-ci dans le cluster des accessions sauvages (en rouge) ; alors que 5 autres accessions sauvages (B3, H1, H2, I9, K5) appartiennent au même cluster que les variétés commerciales et anciennes (Figure 4C). Bien que chimiquement éloignées des accessions commerciales en métabolomique non ciblée, ces 5 accessions sauvages sont toutefois composées de certains composés volatils particuliers (pour les accessions H1, H2, K5 et I9), ou en certains composés phénoliques (accessions B3). En outre, la proximité de l’accession sauvage H2 avec la variété aromatique Cascade, et I9 avec K5, avait déjà été observée lors de l'analyse des composés volatils. L’accession H2 est notamment composée de α-bergamotène, tandis que l’accession K5 est composée de γ-élémène, et l'accession I9 comporte du β-élémène, γ-élémène, α-sélinène, β-sélinène et alloaromadendrène. Cette composition était finalement assez proche de celle de la variété Strisselspalt par exemple, également composée d’alloaromadendrène, α-sélinène, β-sélinène et γ-élémène, ce qui pourrait expliquer la perception fruitée, houblonnée et agrume de ces houblons selon les panélistes.

 

Comparaison statistique

 

Les différents jeux de données de chimie (composés volatils : 65 variables, et métabolomique non ciblée : 160 variables) ont été comparés par analyse orthogonale OPLS-DA (Orthogonal Partial Least Square - Discriminant Analysis) afin d'identifier les marqueurs chimiques susceptibles d'influencer le potentiel aromatique du houblon des deux classes précédemment identifiées à l’issue des tests d’analyse sensorielle sur les 26 bières caractérisées (groupe bleu : n = 13, et groupe rouge : n = 13).

 

analyse multivariee chimie cones houblon

Figure 5. Analyse multivariée entre la chimie des cônes de houblon et les caractéristiques sensorielles après brassage. L'association entre la caractérisation chimique par HS-SPME GC-MS (68 variables) et l'UHPLC-ESI-Qtof (160 variables) a été évaluée par OPLS-DA en utilisant les clusters de la CAH à l’issue de l'analyse sensorielle. A : loading plot des caractéristiques aromatiques des bières selon le panel ; B : loading plot des composés volatils du houblon analysés par HS-SPME GC-MS ; C : loading plot des données de la métabolomique non ciblée par UHPLC-HRMS-ESI-Qtof.

1 = Desméthylxanthohumol, 2 = Xanthohumol, 3 = Isoxanthohumol, 4 = Inconnu, 5 = Cohumulone, 6 = 4-Désoxycohumulone ou adhulupone, 7 = Humulone, 8 = Humulinone, 9 = Adhumulone, 10 = Désoxyhumulone, 11 = Préhumulone, 12 = Postlupulone, 13 = Colupulone, 14 = Lupulone, 15 = Adlupulone, 16 = Prelupulone.

 

Les bières brassées avec des variétés commerciales sont globalement influencées par leurs teneurs en composés volatils du houblon majoritaires (comme l'α-humulène, le β-myrcène, le β-caryophyllène, le linalol ou le β-pinène), alors que les bières brassées avec des accessions sauvages se distinguent davantage par la composition de leurs cônes en α- et β-sélinène, alloaromadendrène, β- et γ-élémène ou α-bergamotène. Ce modèle révèle également que l'amertume des bières est due à la présence de dérivés d'acylphloroglucinols, ce qui va dans le sens d’un potentiel amérisant des variétés commerciales. Les houblons sauvages, qui ne se répartissent pas selon cette variable, seraient donc davantage intéressant pour leur diversité aromatique.

 

Conclusion

Certains composés volatils originaux tels que l'α- et le β-sélinène, l'alloaromadendrène ou le β- et le γ-élémène semblent typiques du houblon sauvage. Notamment, Patzak et al.[2] ont rapporté que le sélinène était particulièrement présent dans le houblon sauvage en comparaison au houblon nord-américain. Ces travaux soulignent donc la forte opposition chimique entre les variétés commerciales et anciennes par rapport aux accessions sauvages au regard de leur composition phytochimique (composés volatils et composés phénoliques), ce qui se répercute sur leur potentiel aromatique après brassage. Certaine saccessions sauvages, comme I3 et G2, ont montré une composition chimique assez proche des variétés commerciales. Cependant, d'autres accessions sauvages, telles que H2, K5 et I9, ont montré un potentiel aromatique plus prononcé lors de l'analyse sensorielle et proche de la variété commerciale Cascade ou de l'ancienne variété Groene Bel. L'analyse par OPLS-DA a permis l’identification de marqueurs chimiques de cônes qui conduisent à une bière dont les caractéristiques sensorielles sont proches de celles brassées avec les cultivars aromatiques actuellement utilisés par les brasseurs.

 

Remerciements

Ces travaux ont été réalisés dans le cadre des projets Feader 2021-2024 (n° 35/2020), financé par l'Union Européenne et la Région Hauts-de-France et CPER BiHauts Eco de France, financé par l’État français et la Région Hauts-de-France. Les auteurs remercient la Région Hauts-de-France et l'Union Européenne (Feder), l'Université de Lille (I-Site) et la Fondation de la brasserie et de la malterie française pour le financement du doctorat de Anne-Sophie Paguet.

Les auteurs remercient Fabrice Henry, directeur du lycée de Biotech Douai pour l’hébergement de la houblonnière expérimentale. Ils remercient également les membres du panel de dégustation et Lydia Lefki pour leur participation aux analyses sensorielles. Ils remercient la FREDON Hauts-de-France pour le suivi des ravageurs et pathogènes, Aurélien Honoré et Anne-Hélène Martin de la Chambre d’Agriculture de la Région Hauts-de-France, ainsi que les houblonniers de la région pour leur participation au projet.

 

D’après la publication “Phytochemical characterisation and aromatic potential for brewing of wild hops (Humulus lupulus L.) from Northern France: Towards a lead for local hop varieties”, dans Food Chemistry, 2024, vol. 433. DOI : https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2023.137302

Auteurs : Anne-Sophie Pagueta, Ali Siaha, Gabriel Lefèvrea, Mathilde Vandenberghea, David Lutunb, Norman Degardinb, Jennifer Samailliea, David Mathironc, Charles Dermonta, Franck Michelsa, Marie-Laure Fauconniera, Sylvie Cholleta, Roland Moliniéa, Jean-Xavier Fontainea, Sevser Sahpaza, Céline Rivièrea,*

a Unité mixte de recherche transfrontalière 1158 BioEcoAgro, Université de Lille, Junia-ISA, Université de Liège, Université de Picardie Jules Verne, Université d’Artois, ULCO, INRAE, Villeneuve d’Ascq, France

b Lycée de Douai Biotech – Campus Wagnonville, 458 Rue de la Motte Julien, 59500 Douai, France

c Université de Picardie Jules Verne (UPJV), Platforme analytique, Rue Dallery – Passage du sourire d’Avril, 80039 Amiens cedex, France

 

[1] Paguet A-S, Siah A, Lefèvre G, Moureu S, Cadalen T, Samaillie J, Michels F, Alves Dos Santos H, Etienne-Debaecker A, Deracinois B, Flahaut C, Cadalen T, Rambaud C, Chollet S, Molinié R, Fontaine J.X, Waterlot C, Fauconnier M.L, Sahpaz S, Rivière C.Multivariate analysis of chemical and genetic diversity of wild Humulus lupulus L. (hop) collected in situ in northern France. Phytochemistry 2023 ; 205:113508. https://doi.org/10.1016/j.phytochem.2022.113508.

[2] Patzak, J., Nesvadba, V., Henychov ́ a, A., & Krofta, K. (2010). Assessment of the genetic diversity of wild hops (Humulus lupulus L.) in Europe using chemical and molecular analyses. Biochemical Systematics and Ecology, 38(2), 136–145. https://doi.org/ 10.1016/j.bse.2009.12.023

 

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