Pierre Millet est un ancien Brasseur et Ingénieur Brassicole de 84 ans, à la retraite mais toujours très actif notamment au sein du Musée Français de la Brasserie à St Nicolas, que vous avez pu rencontrer lors de nos LABs. Il est l'un des dernières détenteurs de savoir-faire et d'histoires de brasseries des 60 dernières années. Régulièrement Pierre Millet nous fait part de ses réflexions et recherches sur les techniques et problématiques de Brasseries.
Dans le cas des fûts de bières à plongeurs incorporés (PI), le lavage va se faire d’une façon différente de celui des fûts équipés de plongeurs amovibles (PA), comme ils l’étaient dans un passé récent.
En effet, pour ces derniers le plongeur n’est pas en place pendant le lavage, tandis que pour les plongeurs à PI il reste à demeure pendant le lavage, le remplissage, et le tirage chez le cafetier. De plus, traditionnellement lors du lavage des fûts à P A qui sont débondés, le lavage s’effectue sur une machine de transfert qui transporte le récipient de poste en poste spécifique d’une fonction du lavage, alors que pour les fûts à PI, les fonctions différentes du lavage pourront être groupées sur un même poste qui pourra comporter également la partie remplissage, dans le cas de petites installations d’une cadencer de l’ordre de 50 fûts/heure.
Quand les cadences deviennent plus importantes, la séparation des fonctions impliquera des postes spécifiques à chaque fonction de lavage, de soutirage, ou de stérilisation disposées successivement sur une machine en ligne, et le passage d’un poste à l’autre se fera par poussée ou transport du fût par un système à pas de pèlerin, après désolidarisation de la tête de traitement concernée et escamotage d’une butée de positionnement qui est adaptée aux standards du récipient
Aujourd’hui, il existe pour le conditionnement des fûts de brasserie, des machines de lavage remplissage organisées en carrousel.
Pendant le traitement du fût de bière, et entre deux transferts, celui-ci est maintenu plaqué sur la tête de lavage et de soutirage, ce qui permet aux organes respectifs d’être positionnés sur la bonde du fût et le corps du plongeur. Ces organes fonctionnent comme des têtes de débit analogues à celles qu’utilise le cafetier pour débiter le fût au comptoir, mais de dimensions et de mise en service différents. En particulier, le piston creux de mise en service est solidaire d’une commande mécanique ou pneumatique. Une ébauche de tulipe de centrage est toujours présente sur la tête de conditionnement ; elle permet de corriger les petits défauts de dimensions des récipients, et autorise l’embectage même si le positionnement prédéterminé par des taquets de guidage, n’est pas parfait. Le plaquage du fût s’escamote pour permettre le transfert d’un poste de traitement à un autre, pour les machines en lignes. Pour l’organisation en carrousel, les différentes fonctions s’effectuent sur la même tête qui se déplace avec le fût sur une trajectoire circulaire ; les sélections de fluides se réalisent grâce à un jeu de taquets et de cames qui commandent des robinets en relation avec la tête de soutirage, puis de lavage ou de soutirage-lavage ; ces robinets sont alimentés par un joint tournant. Ces carrousels de fûts deviennent vite très volumineux, on attribue alors un carrousel par fonction avec transfert après rotation des fûts d’un carrousel à l’autre en cinématique continue ou sur convoyeurs libres.
Avant de décrire les procédés de lavage des fûts à P I, il convient de mener une réflexion sur les contraintes nouvelles rencontrées par ce conditionnement.
Le temps de passage est très court sur une laveuse de fûts (de 4 à 5 minutes). Si on le compare à celui d’une laveuse de bouteilles, pour laquelle il est voisin de la demi-heure, on verra que dans le cas du fût, la surface à nettoyer est 200 fois plus grande que celle d’une bouteille de 25 cl par exemple. Il est donc très difficile d’obtenir par un traitement aussi rapide, des récipients propres physiquement et bactériologiquement. Cela devient plus grave avec les fûts à P I pour lesquels le simple mirage à l’œil n’est plus possible.
*Aussi pour sécuriser le brasseur, certaines pratiques se sont généralisées, comme celle principalement qui consiste à remplir le fût bouillant après passage de la vapeur pendant près d’une minute en fin de cycle de nettoyage. La bière va perdre pendant ce remplissage quelques dixièmes de grammes de CO2 que le brasseur sait compenser en modifiant son bondonnage en cave de garde. Mais ce qui est un peu plus gênant, c’est que les joints du plongeur vont souffrir de ce traitement thermique violent.
*Une autre pratique sécuritaire va consister à faire subir au fût de bière avant son lavage proprement dit, un trempage de la partie située près de l’anneau de bonde qui est la plus sujette à collecter les dépôts de salissure et bierstein, qui peuvent créer dans l’espace situé entre l’anneau de bonde du fût le corps du plongeur, des sites et micros climats qui protègeront les bactéries et autres microorganismes qui s ‘y trouvent, de l’action détergente et thermique du lavage.
*De plus, pendant le lavage qui est réalisé par une amenée des fluides par le tube plongeur, il est certain qu’avec un débit constant et suffisamment important, les parois externes du plongeur risquent de ne pas être sollicitées par les fluides de nettoyage. A cet effet, on alternera pendant le déroulement du programme de nettoyage, des jets haute pression et des jets basse pression, pour atteindre les parties latérales du fût ou la partie externe du tube plongeur, en réalisant un ruissellement tout du long de ce dernier. Cette alternance permettra en outre, qu’entre deux injections différentes, les surfaces soient débarrassées des films de liquides qui risqueraient d’empêcher l’injection suivante d’être au contact direct du métal des parois concernées. (ce que l’on améliore encore, en pratiquant une aide à la vidange totale du récipient après chaque injection par une chasse avec de l’air comprimé ou de la vapeur)
Une remarque s’impose : Le jet de détergent haute pression qui traverse le tube plongeur se répartit sur le fond du fût avant de ruisseler sur les parois et de réaliser un nettoyage de type ruissellement qui développera un effet vagues nécessaire à l’efficacité du nettoyage.. Mais le fût de bière est toujours lavé bonde en bas et la vitesse d’écoulement des solutions détergentes ou de rinçage sera maximum sur la paroi verticale du fût mais largement diminuée sur le fond ou se trouve l’anneau de bonde, il se forme alors une zone de freinage ou la vitesse d’écoulement est diminuée et donc propice à la sédimentation des particules de salissures détachées de la paroi par le ruissellement. Ces particules ne seront pas entraînées par le flot du lavage. Au bout d’un certain nombre de rotations du fût en clientèle puis au lavage, on observera un dépôt important de salissures plus ou moins incrustantes au niveau de l’anneau de bonde et du corps du plongeur.
Ce constat justifie le trempage du fût pendant son transfert jusqu'à la laveuse (déjà évoqué). Pour cela on introduit, après dépressionnage du fût, une quantité réduite (2 à 3 litres) d’une solution sodée à 7 ou 8% qu’on laisse agir sur la partie du fût portant l’anneau de bonde pendant tout son transfert jusqu'à la laveuse. L’opération d’injection se fait sur un poste à une tête qui aura également pour mission, le dépressionnage, le rinçage éventuel, et la vérification de l’intégrité et de l’étanchéité du système fût-plongeur. Pour être efficace, le temps d’action de cette solution sodée devra être important, et le sera d’autant plus, que le transfert jusqu'à la laveuse est long. (ce traitement n’est valable que pour les fûts en inox , l’aluminium est attaqué par les alcalins). En sortie de laveuse, après l’injection de vapeur, on réserve parfois sur la machine deux ou trois postes fictifs pour maintenir l’action thermique plus longtemps avant le remplissage.
Pour le lavage des fûts à PI, un détergent acide peut être envisagé, et se substituer au lavage alcalin traditionnel qu’il faudra quand même reprendre périodiquement pour éliminer d’éventuels gros dépôts organiques qui auraient pu s’accrocher aux soudures par exemple.
Le lavage acide se justifie, car le fût sale et en retour à la brasserie est un milieu fermé, qui évitera que les parois du récipient se dessèchent, et on observera beaucoup moins de dépôts organiques comme c’était le cas avec les fûts à PA. D’autre part, le lavage acide favorise l’action de la température sur la plupart des microorganismes. Il convient cependant de s’assurer que les matériaux au contact avec le détergent acide sont compatibles avec cette utilisation. En contrepartie, on remarquera que si une contamination du récipient est installée par des germes de la bactériologie de la bière, (lactiques, levures sauvages…) elle sera plus difficile à éliminer, car le retour du fût vide à la brasserie et qui est resté sous pression de gaz carbonique, favorise l’anaérobiose et la prolifération de ce type de contamination dans les zones du fût , prés de l’anneau de bonde , ce qui n’existait pas auparavant avec les fûts à P A. Avec cette constatation, il s’avère qua dans le cas des fûts à P I le détergent à privilégier est un détergent oxydant, dont le principe actif sera l’eau oxygénée, sachant que les germes de contamination en brasserie sont catalase moins et ne savent pas décomposer l’eau oxygénée. Aussi, tout détergent acide ou alcalin associé a une fonction peroxyde oxydante, convient pour cette application.
On constate de plus, que pour les fûts à P I, une part prépondérante est réservée au traitement par de la vapeur. Une vapeur fluente d’abord qui permettra au moins en partie, de chasser l’air du fût avant son remplissage et ensuite une montée en pression avec de la vapeur bien désurchauffée, de façon à ce qu’elle commence tout de suite à condenser, et assure très rapidement la montée en température (au moins 100°C). A cet effet, il est conseillé de prévoir à l’entrée de la vapeur dans la machine de lavage, un désurchauffeur qui peut se réduire à un simple barbotage de la vapeur dans un récipient fermé, plein d’eau.
Si on utilise la vapeur du réseau de l’usine, il faudra veiller à ce que le générateur de vapeur ne prime pas, c'est-à-dire que le fluide thermique n’entraîne pas avec lui des fractions du plan d’eau du générateur ( toujours alcalines) ; il sera toujours plus sécurisant de produire à partir du générateur principal , une vapeur alimentaire à 2 ou 3 bars, spécifique au conditionnement des fûts et produite via un échangeur de température à partir de la vapeur à 10 bars en provenance de ce générateur.
Dans la pratique, pour le lavage des fûts de bière à P I, le déroulement suivant est recommandé : Après que sur un poste spécifique on a réalisé la décompression, le rinçage, et l’injection de soude caustique concentrée (pour les fûts en inox uniquement), et après un parcours plus ou moins long du fût tête en bas , il arrivera à la laveuse ou on effectuera une chasse à l’air, ou à la vapeur pour récupérer la soude concentrée, et le véritable programme de lavage va alors débuter Ce programme alternera un certain nombre d’injections moyenne et basse pression de détergent, puis de rinçage , entre chacune des injections, une pousse à l’air ou à la vapeur sera pratiquée pour vidanger totalement le récipient entre chaque injection. Les derniers rinçages seront éventuellement récupérés pour assurer le ou les premiers rinçages qui eux, seront mis à l’égout. Certaines machines sont équipées de capteur assurant qu’entre chaque injection suivie d’une poussée, on vérifie que le fût est bien vide.
Ecoulement par ruissellement dans un Fût a PI - Zone de sédimentation des salissures ptés de la bonde
Schématisation des écoulements des solutions injectées dans un fut à PI et Principe de la désurchauffe par barbotage de la vapeur
Schéma de principe d’un poste de lavage de fûts à Plongeur incorporé ( non suivi du remplissage)
D - bac de détergent, EC – bac a eau chaude, H- hydrophore, N – Contacteur de niveau, T- Thermostat
Dans la pratique, on note 5 procédés de nettoyage des fûts ( document K H S)
1) Le trempage
2) Le contreflux : La solution de nettoyage pénètre dans le fut par l’orifice gaz du plongeur
3) Le nettoyage à tourbillon : une fois partiellement rempli de détergent de l’air est envoyé par le circuit gaz du plongeur pour provoquer un tourbillon
4) Le mouvement rotatif d’un fût partiellement rempli
5) L’aspersion du fût. Avec mise en œuvre d’un procédé pulsatoire pour rinçage externe du plongeur
Ces procédés sont fréquemment combinés et utilisés avec jusqu'à trois liquides de nettoyages. La durée de nettoyage prescrite varie fortement, par exemple en cas d’utilisation de liquides de nettoyage entre 15 et 390 secondes et une durée supplémentaire de trempage de 1 à 10 minutes ( K H S )
Le procédé pulsatoire consiste lors de l’injection sous pression dans le fût, d’alterner des périodes de hautes pression qui envoie la solution sur le fond et les parois verticales du fût et des périodes basse pression qui font ruisseler la solution sur le plongeur.
Schéma suivant : les différentes techniques d’apport du détergent dans le fut pendant son lavage:
Outre l’étanchéité du fût par contrôle de la pression résiduelle avant son lavage, sur le fut en retour , il convient de procéder à d’autres vérifications comme la perpendicularité du plongeur par rapport au fond du fut et l’intégrité des galerie
Le contrôle de l’efficacité du lavage des fûts à P I est difficile, le simple contrôle par mirage n’est plus possible. Une étude faite par un stagiaire dans une grande brasserie française avec l’utilisation d’un fût témoins à hublots a montré que plus de la moitié des fûts étaient mal lavés, ce qui justifie encore le fait qu’ils soient soutirés bouillants presque dans toutes les brasseries.
La série de schémas suivants illustre les séquences de lavage, stérilisation et soutirage de la laveuse de fûts à plongeur incorporé Innokeg Sénator de KHS. Il s’agit là d’un procédé extrêmement drastique de lavage de fûts à P I, mais qui se justifie pleinement.


"N'hésitez pas à laisser un commentaire et à échanger avec moi"
Pierre Millet