L’oxygène 0₂, essentiel à la vie, joue un rôle ambivalent dans la fabrication de la bière. Indispensable à certaines étapes du brassage, il devient un facteur de dégradation à d’autres moments, compromettant la qualité et la conservation de la bière. Cet article explore les interactions entre l’oxygène et la bière à différentes phases de production, en examinant les moyens de limiter ses effets négatifs tout en maximisant son utilité.

 

Les dangers de l’oxygène dissous

 

Impact sur la qualité sensorielle et la conservation

L’oxygène dissous dans la bière peut altérer significativement ses caractéristiques sensorielles. Même une exposition minimale peut provoquer des réactions d’oxydation initialement invisibles, mais qui se traduisent rapidement par des changements de goût, d’arôme et d’apparence, ainsi que de stabilité et donc de durée de conservation. Ces altérations incluent des goûts de carton, de brulé, de métallique, ainsi que des modifications de la couleur et de l’arôme.

Les bières houblonnées à cru sont particulièrement vulnérables en raison de la grande volatilité des composés aromatiques issus du houblon. L’oxydation peut ainsi rendre ces bières fades, privées de leurs notes aromatiques caractéristiques. Elle peut également entraîner une réduction de l'amertume par décomposition des acides iso-alpha.

 

Cas particulier des bières maltées et alcoolisées

Certaines bières, comme les bières maltées ou très alcoolisées, peuvent tirer parti de l’oxydation dans des conditions contrôlées, notamment lors d’un vieillissement en fût. L’oxygène favorise alors le développement de saveurs complexes qui enrichissent le profil de la bière.

 

oxygene o2 brassage biere

 

Le rôle de l'oxygène pendant le brassage

 

Au cours du maltage, l’oxygène est essentiel pour la germination et la croissance de l'orge. Il favorise la germination en évitant l’accumulation de dioxyde de carbone, garantissant ainsi une qualité optimale du malt.

Bien que la fermentation soit majoritairement anaérobie, la levure a besoin d’oxygène au début du processus. Cet apport initial d’oxygène permet aux cellules de produire des composés lipidiques essentiels à leur membrane. Cependant, un excès ou un défaut d’oxygène peut ralentir la fermentation et engendrer des saveurs indésirables.

 

Techniques d’aération

  • Aération du moût: Secouer le moût ou utiliser une pierre d’aération pour introduire de l’oxygène au début de la fermentation est une pratique courante. Cela garantit que les levures disposent des ressources nécessaires pour se multiplier et accomplir une fermentation efficace. La quantité d’oxygène introduite doit cependant être précisément contrôlée, généralement entre 8 et 16 ppm, en fonction du type de levure et du style de bière. Selon une étude récente, la vitesse de mélange lors du chauffage ne doit pas dépasser 4 m/s.
  • Injection d’oxygène pur ou d’air stérile: Certains brasseurs optent pour des systèmes sophistiqués permettant une injection directe d’oxygène pur ou d’air stérile dans le moût. Ces techniques assurent un dosage précis et une répartition homogène de l’oxygène.

 

Techniques de brassage

Pour prolonger la durée de conservation et retarder le vieillissement, les brasseurs peuvent augmenter la capacité antioxydante de la bière :

  • Utilisation de malts foncés et de houblons en grande quantité.
  • Présence de levure dans les bières naturellement conditionnées pour éliminer l’oxygène résiduel.
  • Réduction de l’activité des enzymes oxydatives : Ajuster le profil de brassage, par exemple éviter un palier protéolytique en mashant directement au-dessus de 60°C.
  • Production accrue de dioxyde de soufre (SO₂) pendant la fermentation grâce à :
    • Températures de fermentation plus basses.
    • Moins d’aération du moût.
    • Taux de levurage réduit.
    • Gravité initiale réduite.
    • Ajout accru de sulfates au brassage.
  • Ajout d’antioxydants comme le SO₂ et l’acide ascorbique avant le conditionnement. Les polyphénols du malt agissent comme antioxydants mais peuvent générer des saveurs astringentes.
  • Réduction des ions métalliques (fer, cuivre) en contrôlant les matériaux utilisés.

Avec ces mesures, les brasseurs peuvent significativement retarder le vieillissement et préserver les qualités aromatiques de la bière.

 

L’oxygène dans le vieillissement de la bière

Si l’oxygène est globalement un ennemi dans la production de bière, il joue un rôle spécifique dans le vieillissement contrôlé de certaines bières, comme les bières barriquées ou les bières de garde. L’interaction lente entre l’oxygène et les composés présents dans la bière permet de développer des arômes complexes, tels que des notes de fruits secs, de caramel ou de porto. Cependant, ce processus nécessite un contrôle strict des conditions de stockage, notamment de la température et de l’humidité.

 

Une fois la fermentation primaire terminée, l’introduction d’oxygène doit être strictement évitée. À ce stade, l’oxygène n’est plus bénéfique et risque de dégrader les composés aromatiques délicats produits pendant la fermentation. De plus, il peut entraîner la prolifération de micro-organismes indésirables qui compromettent la stabilité microbiologique de la bière.

 

brasage biere oxygene

 

Minimiser l’oxygène dissous : une priorité

 

Une fois la fermentation achevée, la bière devient particulièrement vulnérable à l’oxygène. Pendant que les levures actives sont encore présentes, elles peuvent absorber une petite quantité d’oxygène résiduel. Cependant, lorsque les levures deviennent inactives, l’oxydation commence rapidement à altérer le produit, provoquant un vieillissement prématuré.

Points critiques d’exposition à l’oxygène

L’exposition à l’oxygène peut se produire à diverses étapes critiques de la production, les principales sources d’introduction d’oxygène sont :

  • Les Vannes: Lls fuites dans ces équipements peuvent permettre à l’oxygène d’entrer dans le circuit.
  • Les Tuyaux de transfert et pompes: des connexions mal ajustées, des matériaux de faible qualité ou une maintenance insuffisante augmentent les risques d’oxygénation.
  • Les Cuves: l’air résiduel ou piégé dans ces réservoirs doit être éliminé avant le remplissage. Possiblement, avant de remplir la cuve, elle doit être préalablement remplie de CO₂ sous 0,20 bar minimum.
  • Les Lignes de conditionnement: l’embouteillage ou la mise en canette constitue une étape particulièrement critique où l’oxygène peut s’infiltrer.

 

Techniques de réduction de l’oxygène

Pour préserver la qualité et la durée de conservation de la bière, il est impératif de réduire au maximum l’oxygène dissous. Voici des stratégies éprouvées :

  1. Purge des réservoirs: Avant toute utilisation, purger les cuves lentement avec du CO₂ ou de l’azote sous faible pression pour éliminer tout air résiduel.
  2. Cap de mousse: Appliquer une couche de mousse protectrice au moment de l’embouteillage ou de la mise en canette pour minimiser le contact entre la bière et l’air.
  3. Étanchéité des joints et raccords: Vérifier régulièrement l’état des joints et des connexions pour prévenir toute infiltration d’oxygène.
  4. Mise en place de systèmes de tuyauterie: Utiliser des systèmes qui permettent une purge complète et empêchent tout air stagnant.
  5. Utilisation de gaz inertes: Remplacer l’air par du CO₂ ou de l’azote N₂ pendant les transferts ou le stockage pour protéger la bière.
  6. Eau désaérée: Employer de l’eau désaérée pour les transferts, le nettoyage des tuyaux et autres interventions sur les équipements.
  7. Automatisation des pompes: Configurer les pompes pour éviter l’aspiration d’air lors de la vidange des réservoirs.

Maintenir les niveaux d’oxygène dissous en dessous de 50 ppb (µg/L) est indispensable pour préserver les qualités sensorielles et prolonger la durée de conservation de la bière.

 

Contrôler l’oxygène : un suivi rigoureux

 

Mesure de l’oxygène dissous

Le suivi des niveaux d’oxygène dissous est essentiel pour identifier les points critiques. Trois types d’outils sont couramment utilisés :

  • Appareils portables: Pour des mesures ponctuelles.
  • Systèmes en ligne: Pour un suivi continu au sein des circuits de production.
  • Analyses: Pour des analyses approfondies.

 

ogm 02 metre en ligne optique mesure de l oxygene dissous biere pentair o dgm 02 metre portable analyse oxygene dissous biere pentair

 

 OGM 02 mètre en ligne optique et o-DGM 02 mètre portable Pentair pour la mesure de l'oxygène dissous

 

Ces outils permettent de localiser les sources potentielles d’oxygénation et d’ajuster les processus en conséquence.

Pratiques recommandées

  1. Surveillance à chaque étape: Mesurer l’oxygène à différents stades de production.
  2. Réactivité: En cas d’anomalie, intervenir rapidement pour éviter des dommages irréversibles.
  3. Formation des opérateurs: Les équipes doivent être formées aux bonnes pratiques et à l’utilisation des outils de mesure.

 

Gestion de l’oxygène dans le conditionnement

 

Étape critique de la production, l’embouteillage est le dernier rempart contre l’introduction d’oxygène dans la bière. Plusieurs mesures sont mises en œuvre pour garantir une qualité optimale :

  1. Remplissage sous atmosphère protectrice: Les lignes de conditionnement modernes remplacent l’air dans les bouteilles ou canettes par du CO₂ ou de l’azote avant remplissage.
  2. Double purge: Une double purge des récipients (avant et après le remplissage) peut réduire de manière significative les niveaux d’oxygène dissous.
  3. Contrôle du bouchage et de la sertissure: Des systèmes de détection garantissent que les capsules, bouchons ou opercules sont correctement appliqués pour éviter les fuites d’air.

 

Les avancées technologiques pour maîtriser l’oxygène

 

L’innovation technologique permet aujourd’hui aux brasseurs de gérer l’oxygène avec une précision inégalée. Parmi les outils récents :

  1. Détecteurs d’oxygène dissous haute sensibilité: Ces appareils mesurent des concentrations extrêmement faibles, jusqu’à 1 ppb, permettant d’identifier les points d’amélioration dans le processus.
  2. Systèmes de remplissage à ultra-faible oxygénation: Utilisés dans les grandes brasseries, ces systèmes intègrent des algorithmes avancés pour minimiser l’exposition à l’oxygène.
  3. Logiciels de traçabilité: Permettant de suivre en temps réel les niveaux d’oxygène à chaque étape, ces solutions facilitent la prise de décision et l’optimisation des procédés.

 

L’oxygène a rôle crucial lors du démarrage de la fermentation qui contraste avec les précautions nécessaires pour l’éviter à d’autres moments, notamment après la fermentation et lors du conditionnement. La maîtrise de cet élément demande des équipements performants, des pratiques rigoureuses et une vigilance constante. En conciliant innovation technologique et savoir-faire artisanal, les brasseurs peuvent ainsi garantir une qualité optimale à leurs créations, tout en préservant leur caractère unique.

V.F.

Source/Référence :

The role of oxygen in the main fermentation of beer in concentration of 6, 8 and 10 MG/L : dx.doi.org/10.31788/RJC.2018.1133087
Managing Dissolved Oxygen in the Brewery - Audrey Skinner - MBAA TQ vol. 57, no. 1 • 2020
The Role Of Oxygen In Brewing - Tim O’Rourke - The New Brewer July/August 2023

 

^
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
Analytique
Outils utilisés pour analyser les données de navigation et mesurer l'efficacité du site internet afin de comprendre son fonctionnement.