Il semble exister quelques dissonances entre la notion de Corps de la Bière et les critères attendus par les professionnels, l’imaginaire collectif et la perception des consommateurs, et les descripteurs qui résultent d’études scientifiques. Bien que dans la pratique, comme par exemple sur les grilles de notation de bière, cette notion soit librement adaptée, dans les faits l’interaction et l’abondance de certains composés sont corrélées à sa perception.
Le corps de la bière, appelé également « rondeur », est une notion que l'on tente de définir depuis les années 70. Associé aujourd'hui à des descripteurs de textures objectifs, notamment la consistance, sa définition est un peu plus subjective, à savoir "la plénitude de la saveur et de la sensation en bouche". Pourtant, aujourd’hui le corps de la bière est techniquement distinct de la sensation en bouche -qui englobe l'astringence, la carbonatation et la chaleur induite par l'alcool- et des flaveurs. C'est en effet la combinaison de l'ensemble qui déterminerait la façon dont la bière stimule le palais. Ainsi, professionnels et consommateurs n'appréhendent pas le corps de la bière de la même manière, et l'utilisent également comme terme générique pour décrire les multiples caractéristiques de la sensation en bouche des boissons.
De nouvelles recherches scientifiques viennent éclairer la problématique sous différents aspects. Tout d’abord une étude sur la perception des consommateurs, de différents facteurs sensoriels qu'ils attribuent au corps comme l’éthanol, la viscosité, et l’équilibre entre l’amertume et l'arôme de houblon. Une autre recherche s’est intéressée au corps sous la perspective des sensations physiques de la bouche -l’assèchement, l'onctuosité et la contraction- corrélées aux composés chimiques de la bière. Ailleurs d’autres chercheurs ont investigué la notion de corps sous l’angle de la buvabilité grâce à des analyses tribologiques corrélées à la plénitude du palais, aux fractions macromoléculaires et aux paramètres de composition de la bière : densité d'origine, viscosité, indices de distribution macromoléculaire, azote total et β-glucane. Cette dernière étude donnant même lieu à une formule mathématique de prédiction de l’intensité de la plénitude gustative des bières lager! Enfin, des recherches sur les ingrédients et techniques de brassage de la bière ont également avancé les dernières années, en reléguant l'action des dextrines au profit des protéines et d'autres composés dans la bière.
Ce corpus d’études permettra peut-être aux brasseurs-euses de mieux comprendre et maîtriser les critères perçus et attendus du corps de la bière par les consommateurs, dont le manque est souvent le reproche principal dans certaines catégories de bières et autres boissons, et notamment dans les bières sans alcool (NOLO).
Corps du délit : La notion de corps
Les origines de la notion de corps d’un liquide sont toujours discutées. Si pour certains, elle serait une notion établie dans la chirurgie par Ambroise Paré au 16ème siècle, comme étant la « consistance que prend un liquide qu’on épaissit » et récupérée dans la gastronomie dès le 17ème siècle, par exemple « épaissir une sauce », c’est « lui donner du corps ». Pour d’autres, elle est à prendre par son étymologie, le mot corps était anciennement écrit cors et à donner le verbe corser soit « donner du corps », « rendre plus fort ». Ainsi dans le domaine du vin, est corsé ou a du corps un breuvage riche en alcool (à partir de 12%), et corser un vin peut signifier d’y ajouter de l’alcool. Enfin chez les alchimistes, les substances volatiles sont désignées comme esprit quand le dépôt restant (ou extrait sec) est appelé corps.
Il se passe pas mal de choses dans la bouche – source : Il était une fois… la vie
Plus précisément, dans le vin, le corps représente le poids c’est-à-dire le volume, la densité et l’équilibre des matières (ou extrait sec) en bouche, mais également de l’intensité et de la persistance en bouche de ces éléments : alcools, polyalcools, sucres, acidité, sapidité, minéralité, et surtout, semble-t-il, des tannins. Il se définit en milieu de bouche, en mâchant ou en grumant le vin. En fonction de l’abondance des éléments, on parlera ainsi de vin faible, léger, structuré, puissant ou lourd. Le terme « corps » est ainsi utilisé dans le vin pour définir le poids, distingué de la viscosité. Subtil mélange de moelleux et de tannins, l’analogie à l’anatomie se révèle d’autant plus dans le vin rouge, où les tanins seraient l’ossature (ou la charpente) du vin, néanmoins il se dit qu’ « un squelette sans chair (ou moelleux), ne suffit pas à faire un bon vin ».
Gardes du Corps : Zythologie et Corps
Les premières études de classifications des descripteurs de flaveurs et de sensations de la bière datent du début des années 1970 par les travaux de J. F. Clapperton de l'IBD (Institute of Brewing & Distilling) qui ont abouti en 1979 aux travaux de Morten Meilgaard et sa mise au point de la première roue des Flaveurs, en collaboration avec l’EBC (European Brewery Convention), l’ASBC (American Society of Brewing Chesmist) et la Master Brewer’s Association (MBA) qui à l’époque « exhortaient l’industrie à utiliser cette terminologie ».
La notion de corps (Body) apparait dans cette première roue comme unique descripteur de la classe 14 Plénitude (Fullnes). Le corps (1410) est décrit comme « la plénitude des Flaveurs et de la sensation en bouche ». Il se définit selon 4 attributs : aqueux, sans caractère, rassasiant et épais/visqueux. La sensation en bouche possède sa propre classe, la 13, avec 7 descripteurs : alcalin, crémeux, métallique, astringent, poudreux, carbonatation et réchauffement.
La roue originelle des flaveurs de Meilgaard parut dans l’étude de 1979. Source : Beer Flavour Therminology - Meilgaard Et A l- 1979 - Journal of The Institute of Brewing
Dans les années 1990, les travaux notamment de Susan Langstaff ; J.-X. Guinard et M.J. Lewis proposèrent que la classe « sensation en bouche » devienne une modalité de « texture » sur la roue des flaveurs au même titre que les « goûts » et les « odeurs » que l’on appelle plus communément aujourd’hui les « flaveurs ». La texture divisée en trois classes principales : la carbonatation (piqûre, taille des bulles, volume de mousse et dioxyde de carbone total), la plénitude (densité et viscosité) et la sensation finale (nappant, huileux en bouche, astringence et caractère collant), laisse sur le côté le mot « corps », mais surtout le sort d’une parenté directe avec les flaveurs en prenant un caractère unilatéral de texture.
C’est à partir de cette époque qu’une certaine dichotomie et/ou un certain flou apparait dans la notion de Corps de la Bière, entre les caractères attendus par les professionnels (biérologues, zythologues, brasseurs, …), ceux perçus par les consommateurs, et ceux qui se révèlent aux analyses.
En 2009, Annette Schmelzle de l’Université de Rhin Main a redivisé la catégorie des textures en 3 classes : la « sensation en bouche » avec les attributs picotants, réchauffants, astringents et piquants, la « mousse » composée du volume et de la structure, et le « corps » avec pour caractéristique la viscosité et la densité.
En 2009, la roue des flaveurs mise à jour par Annette Schmelzle en 2009. Source : The Beer Aroma Wheel Updating beer fl avour terminology according to sensory standards - A. Schmelzle
Cependant, des organismes comme l’ASBC (L'American Society of Brewing Chemists) ou le BJCP (Beer Judge Certification Program) sont restés sur la définition originale du Corps de Meilgaard, pour qui le corps d'une bière est caractérisé par la « plénitude de la saveur et de la sensation en bouche ». Le corps est techniquement distinct de la sensation en bouche, qui englobe des sensations physiques telles que l'astringence, la chaleur alcoolique et la carbonatation, mais la combinaison détermine la façon dont la bière stimule le palais.
La sensation en bouche et le corps sont en effet des caractéristiques sensorielles complexes provoqués par les interactions simultanées entre les sens du toucher, du goût et de l’odorat comprenant les sensations haptiques, tactiles, trigéminales et les impressions de température dans la bouche.
Voici les recommandations du BJCP pour les apprécier : « Évaluez votre première gorgée de bière (environ une once) uniquement pour son arôme et sa saveur. Lors de votre seconde gorgée, concentrez-vous sur la sensation en bouche. Sentez la bière tourbillonner sur votre langue. Laissez-la pénétrer dans tous les recoins de votre bouche. Concentrez-vous sur les sensations que vous ressentez, y compris la façon dont elle glisse dans votre gorge. »
Pourtant, l’interaction sous-entendue du corps avec les flaveurs (« plénitude de la saveur ») laisse une certaine subjectivité dans sa formation. Alors comme le dit le philosophe Michel Henry, "si le corps est subjectif, sa nature dépend de celle de la subjectivité", des études scientifiques ont essayé d’identifier d’autres marqueurs liés à sa perception et à sa composition.
Corps franc : Les études consommateurs
L’étude, « L'impact de divers attributs sensoriels clés sur la perception du consommateur du corps de la bière » publiée dans l’édition de décembre 2023 du Journal Food Quality and Preference par Natalja Ivanova, Rebecca Ford et Coll -des universitaires du Royaume-Unis et d’Australie- s’est ainsi intéressée au paradoxe sous l’angle des facteurs perçus et attribués par les consommateurs.
La perception du consommateur du corps de la bière a été étudiée qualitativement, et l’étude à observer que les consommateurs comprennent le corps de la bière comme un terme multisensoriel de saveur (intensité, complexité), de texture (onctuosité, épaisseur, réchauffement de l'alcool, enrobage, astringence et carbonatation), ainsi que d'autres concepts sensoriels aux multiples facettes, telles que la complexité, l'équilibre, la qualité, la préférence et la satiété.
L'analyse du contenu a révélé 32 mots et expressions que les consommateurs utilisaient pour décrire le corps de la bière : texture, épaisseur, soyeux et viscosité, douceur, saveur et intensité de la saveur, arôme, goût, amertume, arrière-goût, lourdeur et le poids, sensation en bouche, plénitude, équilibre/expérience globale, enrobage, sensation, force, complexité, densité, satiété, carbonatation et mousse, légèreté, facilité de consommation, densité calorique, aspect, volume et richesse. Il comprenait également certaines saveurs mentionnées en association avec le corps de la bière, notamment le houblon, les agrumes, le caramel et le terreux. Ce vocabulaire a été classé en 10 catégories, la sensation en bouche ayant le pourcentage de mentions le plus élevé, suivie de la saveur, de la viscosité et de l'intensité.
La thèse démontre ainsi que l'augmentation de l'alcool, de la viscosité, de l'amertume et de l'intensité des arômes, ainsi que l’interaction de ces 4 paramètres renforceraient l'intensité corporelle perçue dans la bière par les consommateurs. De plus les consommateurs ont des sensibilités différentes de ses composés, permettant également de les classer en trois groupes de sensibilités : alcool, viscosité et arômes.
La Bière de Vitruve
Alcool
L'éthanol est l'un des principaux facteurs ayant influencé positivement la perception du corps. L’éthanol joue en effet un rôle clé dans la répartition et la libération des arômes dans les boissons alcoolisées. L'augmentation de la concentration d'éthanol dans la bière entraîne une augmentation des substances volatiles lors de l'inspiration, notamment de l'acétate d'éthyle, de l'alcool isoamylique et de l'alcool phényléthylique.
Il est intéressant de noter que les consommateurs de bière n'ont pas mentionné l'alcool ou les attributs liés à l'alcool, tels que le réchauffement comme caractéristique déterminante du corps de la bière dans la question ouverte préalable à la dégustation.
Le manque de corps perçu dans les boissons sans alcool ne peut donc être complètement lié au manque d’alcool et à ses effets comme le réchauffement ou la sensation en bouche douce.
L’impact le plus positif de l'éthanol sur l'intensité corporelle a été mesuré dans les bières au niveau d'amertume faible, mais pas au niveau d'amertume élevé. Une intensité d'amertume plus élevée serait donc nécessaire dans les bières à faible teneur en alcool pour obtenir une réponse d'intensité corporelle similaire chez les consommateurs. Toutefois, il faut également prendre en considération d’autres études qui indiquent qu'une amertume trop élevée réduirait l'appréciation du consommateur pour les bières à faible teneur en alcool.
Viscosité
Les bières perçues comme moins visqueuses étaient considérées comme étant faibles en corps par les consommateurs. Des recherches récentes tendaient à démontrer que la perception de la douceur augmentait avec la viscosité. Une étude récente a exploré les profils macromoléculaires et la plénitude du palais dans les bières blondes et a démontré une corrélation significative entre la plénitude du palais et la concentration et la viscosité de l'éthanol.
Cependant les bières blondes sans alcool n'ont montré aucune corrélation significative entre la viscosité et la perception sensorielle de la plénitude du palais : ce qui suggère que la corrélation entre l'épaisseur de la bière et la plénitude du palais est plus difficile à démontrer.
Amertumes et Arômes
Chez certains consommateurs, la présence des arômes de bière attendus peut influencer positivement l'intensité corporelle. Une étude de 2018 indique une forte corrélation entre le corps de la bière et les attributs de saveur fruité/esters, fruité/agrumes, malté, houblonné et alcoolique/solvant.
Une étude menée sur la bière Pilsner rapporte que l'aromatisation du houblon a un impact sur l'amertume et sur la perception de la plénitude, suggérant un effet synergique entre l'arôme du houblon et l'amertume pour ce style.
Dans l’étude consommateur, l'arôme du houblon semble modifier l'amertume perçue grâce aux interactions goût-arôme. L'ajout d'extrait d'arôme de houblon a provoqué une perception accrue de l'intensité de l'amertume en démontrant que l'effet était dû à des composés aromatiques volatils de houblon, stimulant les récepteurs via la voie rétronasale.
L'arôme volatil du houblon pourrait avoir agi indirectement en améliorant la perception de l'amertume, ce qui pourrait avoir été la cause de l'augmentation de la perception du corps.
Des recherches qualitatives antérieures de la même équipe suggéraient que les flaveurs suivantes, issus du houblon ou non, avaient un impact sur la perception corporelle de la bière : fruits noirs (mûre, cerise, prune), agrumes et des fruits tropicaux (citron, orange, ananas), arômes associés à la torréfaction (chocolat, café, caramel, fumée, céréales, chêne, malt torréfié).
Pourtant si une amertume plus élevée peut avoir un effet positif sur la perception corporelle globale, il aurait un effet négatif sur l'appréciation générale de la bière. Ce paramètre est donc à varier avec précaution.
Composants principaux des attributs sensoriels différenciés par le panel de consommateurs superposés aux variables supplémentaires (indices d'intensité corporelle, appréciation globale, facteurs modifiés, mesures instrumentales et clusters de consommateurs) – Source : The impact of varying key sensory attributes on consumer perception of beer body
Interaction des facteurs
Bien que l’éthanol contribue indépendamment au corps de la bière, il interagit significativement avec la viscosité et l’amertume.
L'ajout d'éthanol a influencé positivement l'appréciation globale des bières au niveau d'amertume plus élevé, mais pas celles au niveau d'amertume faible. Cela peut suggérer que l'amertume est un facteur d'appréciation négatif et la douceur, un facteur positif.
Les consommateurs ne sont pas homogènes, ils accordent des niveaux d'importance différents aux multiples facteurs et leurs attributs sensoriels associés. Par conséquent, même si les quatre facteurs peuvent être considérés comme importants pour le corps de la bière, les résultats suggèrent que la réduction ou la suppression d'un facteur, tel que l'éthanol, peut toujours entraîner des indices d'intensité corporelle comparables à ceux de la bière pleine concentration, à condition que les autres facteurs soient augmentés ?
Pour cette étude consommateur si « auparavant, le corps de la bière était associé à la viscosité et à la densité en tant que sous-qualités contributives, ainsi qu'au poids en bouche et à la résistance à l'écoulement, ce qui suggérait que le corps de la bière était une caractéristique unimodale de la texture, […] la viscosité n’est pas la seule caractéristique qui influence le corps de la bière, car les quatre facteurs explorés (concentration en éthanol, viscosité, amertume et arôme de houblon) étaient tous des facteurs importants dans la perception corporelle. »
Corps expéditionnaire : Les études scientifiques
Plusieurs études scientifiques récentes ont particulièrement retenu notre attention. Tout d’abord une étude de 2021 de Georg Krebs « Modélisation chimiométrique de la plénitude du palais dans les bières lagers » rapporte que la densité initiale serait le facteur d'influence le plus important affectant la perception de la plénitude du palais, ainsi que d'autres paramètres tels que la viscosité, la densité initiale, les indices de distribution macromoléculaire, la teneur en azote total et la concentration en ß-glucane.
Tracé de régression linéaire du modèle PLS pour la plénitude du palais après normalisation des données – Source : Chemometric modeling of palate fullness in lager beers
Des modèles statistiques (PLS) de plénitude du palais ont été générés à l'aide d’analyses des fractions macromoléculaires et des paramètres de composition de la bière, qui étaient significativement corrélés à cette impression. Ces modèles ont permis de modéliser l’intensité de la plénitude gustative des bières grâce à une équation de régression linéaire des moindres carrés (PLS). Selon les auteurs, « ce modèle peut être utilisé comme ligne directrice par les brasseurs pour contrôler la plénitude du palais et la sensation en bouche. » :
Plénitude du Palais = 1.078 x A – 0.640 x B + 0.059 x C – 0.178 x D + 0.555 x E – 0.2981 x F + 0.140 x G – 0.08 x H +0.224
A : Densité initiale / B : Viscosité / C : zone de pic dRI / D : fraction de surface de pic dRI 2 / E : fraction de surface de pic dRI 3 / F : rapport de fraction polymère de masse molaire faible à élevée / G : Azote total / H : β-glucane
Une autre étude de 2021 « Sensation en bouche de la bière : développement d'une méthode de tribologie et corrélation avec les données sensorielles d'une base de données en ligne » ont compilé et comparé les critiques provenant d’un site web d’évaluation de 10 bières avec l’analyse de leurs paramètres tribologiques, c’est-à-dire leurs paramètres de friction (usure, frottement et lubrification). Démontrant de manière instrumentale la corrélation entre ressentis et paramètres de friction.
Nuage de Mots obtenus par PCA – source : Mouthfeel of Beer: Development of Tribology Method and Correlation with Sensory Data from an Online Database
L'analyse des critiques en ligne a permis de faire ressortir sept descripteurs sensoriels globaux liés à sensation en bouche : aqueux, doux, épais, amer, mousseux, astringent et aigre. Les critères de « crémeux » et « doux » sont les plus appréciés en termes de sensation en bouche.
Dans une étude de juin 2023, « Classification instrumentale de la bière basée sur la sensation en bouche », trois dimensions de sensation en bouche différentes ont été révélées : séchage (sensations de picotement et de plénitude/corps), enrobage/onctuosité (sensations maltées et sucrées) et contraction (sensations acides, amères et picotements). Le séchage et l’enrobage sont apparus comme des dimensions opposées de la sensation en bouche. La contraction est principalement associée à des sensations chimiques et irritantes et affecte la perception de la sensation en bouche. Pour les auteurs, ces « trois dimensions peuvent être utilisées pour la classification commerciale de la bière ».
Classification des bières basée sur la sensation en bouche – Source : Instrumental classification of beer based on mouthfeel
Des corrélations significativement élevées entre les mesures chimiques et les trois dimensions sensorielles ont été révélées par les données instrumentales, fournissant de nouvelles informations sur la prédiction de la sensation en bouche et une nouvelle approche basée sur des facteurs de composition.
Enfin dans une dernière étude, la perception de la plénitude du palais était significativement corrélée à différentes fractions macromoléculaires, telles que les enzymes, les protéines et les substances de la paroi cellulaire, qui étaient respectivement influencées par les températures lors du trempage du malt et les modifications qui en résultaient.
Donner corps : Les études brassage et les pratiques
Dans la littérature, on retrouve régulièrement l’idée que le corps de la bière est lié à la densité finale de la bière, et que l'ajout de produits non fermentescibles, comme les sucres non fermentescibles et les protéines, est le seul moyen de l’augmenter.
En 2017, Scott Janish a réalisé des analyses comparatives sur une NEIPA, ainsi que des analyses sur l’ajout d’avoine.
Dans ses tests sur les NEIPA, à la surprise de l’auteur, les dextrines ne semblaient avoir aucun impact « La sensation en bouche semble plus en relation avec les protéines, les bêta-glucanes, l'éthanol, le glycérol et les mélanoïdines qu'avec la teneur totale en dextrine ». Scott Janish remarque également qu’une carbonatation plus légère peut contribuer à une sensation en bouche « plus ample et plus visqueuse », et dans le cas de la NEIPA, serait bénéfique.
Quant à l’avoine, sa sensation en bouche crémeuse et soyeuse est en grande partie due à la teneur élevée en bêta-glucanes (β-glucanes). Le remplacement de 40 % d'orge maltée par de l'avoine non maltée a augmenté la teneur en bêta-glucane à 1 949 mg/L, soit une multiplication par 97 !
L’avoine commence à se faire ressentir et à donner une sensation soyeuse en bouche à partir d’une proportion de 18% du total du grain. Afin de gérer la viscosité accrue des moûts riches en avoine résultant de la teneur élevée en bêta-glucane, les brasseries peuvent utiliser des filtres, des malts de base moins visqueux (comme le 6 rangs), un apport en enzymes, les coques de riz ou bien des repos à température plus basse. D’autres céréales en flocons ainsi que des malts crystals peuvent également être utilisées dans la même optique.
D’autres auteurs évoquent aussi la sélection des levures et de prêter attention à l’utilisation d’agents clarifiants et des méthodes de filtration qui peuvent modifier la quantité des composés présents dans la bière. Par exemple, une levure hautement atténuante engendrera une densité finale plus faible et une bière plus « fine », plus sèche et moins maltée. Les agents clarifiants sont quant à eux à utiliser avec parcimonie pour ne pas éliminer trop de protéines à chaîne moyenne qui favorisent le corps et la sensation en bouche.
"Your body, my body, Everybody work your body"
La conjonction des études qualitatives, quantitatives et pratiques peut permettre d'affiner le rendu de rondeur, d’adapter ses produits aux attentes des consommateurs et peut-être de clarifier ou de faire évoluer la notion de corps de la bière, en prenant en compte d’autres facteurs de buvabilité.
Le corps étant l’une des attentes principales des consommateurs sur les bières faibles ou sans alcools et sur certains styles de bière, les brasseries pourront ainsi jouer sur différents leviers pour tenter de la satisfaire. Partons donc au corps à corps !
Vincent Ferrari – Novembre 2023
Sources/réf :
The impact of varying key sensory attributes on consumer perception of beer body : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0950329323001982
Influence of high molecular weight polypeptides on the mouthfeel of commercial beer : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jib.630
Impact of Osmotic Distillation on the Sensory Properties and Quality of Low Alcohol Beer : https://www.hindawi.com/journals/jfq/2018/8780725/
Qu'est-ce le corps du vin ? : https://www.labivin.net/article-qu-est-ce-le-corps-du-vin-60137798.html
Le corps, un référent philosophique paradoxal : http://books.openedition.org/pupo/7126
Historic Beer Birthday: Morten Meilgaard : https://brookstonbeerbulletin.com/historic-beer-birthday-morten-meilgaard/
Beer Flavour Therminology Meilgaard Et A l- 1979 - Journal of The Institute of Brewing : https://fr.scribd.com/document/395464952/BeerFlavourTherminology-Meilgaard-Et-Al-1979-Journal-of-the-Institute-of-Brewing
A. Schmelzle The Beer Aroma Wheel Updating beer fl avour terminology according to sensory standards : https://www.researchgate.net/publication/286884688_The_beer_aroma_wheel_Updating_beer_flavour_terminology_according_to_sensory_standards
The Mouthfeel of Beer a review - Susan A. Langstaff, M. J. Lewis https://doi.org/10.1002/j.2050-0416.1993.tb01143.x
Add Body to Your Beer : https://byo.com/article/add-body-to-your-beer/
Body and Mouthfeel – BJCP : https://legacy.bjcp.org/course/Class3Lesson1BodyandMouthfeel.php
John Palmer - How to Brew: Everything you need to know to brew beer right the first time
Sott Janish - Dextrins and Mouthfeel : https://scottjanish.com/dextrins-and-mouthfeel/
Sott Janish - A Case for Brewing With Oats : https://scottjanish.com/case-brewing-oats/
Chemometric modeling of palate fullness in lager beers : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308814620321154
Sensory Evaluation of the Mouthfeel of Beer - Susan A. Langstaff,J.-X. Guinard &M. J. Lewis - https://doi.org/10.1094/ASBCJ-49-0054
Instrumental classification of beer based on mouthfeel : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1878450X23000392#undfig1
Mouthfeel of Beer: Development of Tribology Method and Correlation with Sensory Data from an Online Database : http://dx.doi.org/10.1080/03610470.2021.1938430
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