Les bières aux fruits ont du succès, elles ont même la préférence des consommateurs lors d’études sur les ajouts d’ingrédients et correspondent à certaines attentes de boissons innovantes, apportant des compléments alimentaires ou probiotiques. Ces dernières années, leur diversité a dépassé les traditionnelles lambics avec même l’arrivée d’un nouveau style, les grappes ales. Pour certains théoriciens de la bière, toute la classification serait même à revoir. En France, l'utilisation de fruits est limitée à 10% si l’on veut garder la dénomination « bière ». Certaines brasseries françaises qui en ont fait leur spécialité connaissent bien la problématique, surtout lorsqu’elles avaient poussé les limites entre 10 et 30% (qui sont pourtant acceptées dans les lambics aux fruits belges). Mais que se passe-t-il, si l’on pousse encore plus loin? Lorsque l’on fait des mélanges qui dépassent les 50% de fruits ? On arrive alors proche de la recette d’une boisson peu connue en France mais qui rencontre du succès dans de nombreux pays et qui pourrait bien le connaitre ici, notamment durant l’été : le radler.

 

Les bières aux fruits, une classification qui tend à évoluer

 

Pour certains chercheurs, le guide des styles du BJCP est assez sobre sur les styles de bières aux fruits. Actuellement, on retrouve les fruits dans les lambics aux fruits (style 23F) et dans une super catégorie “Bières aux fruits” (29) comprenant 4 styles : Bière aux Fruits, Bière aux fruits et aux épices, Bière aux fruits de spécialités et la dernière entrante Grape Ale / Bière aux raisins (ex Italian Grape Ale).

Une étude publiée cette année propose un système de classification étendu pour les bières aux fruits afin de mieux refléter leur diversité. Ce nouveau système prend en compte trois attributs définissants de la production de bière : le type de fermentation, les micro-organismes impliqués et les principes d'acidification. Il distingue ainsi cinq processus de production en fonction du type de fermentation, incluant l'utilisation de levures non conventionnelles et l'acidification non biologique par l'ajout d'acides organiques de qualité alimentaire, de fruits frais, de jus de fruits ou de limonades.

 

suggestion classification bieres fruits

Suggestion de nouvelle classification des bières aux fruits par Alejandro P Croonenberghs, Dries Bongaerts, Arne Bouchez, Jonas De Roos et Luc De Vuyst. Source : Fruit beers, beers with or without a co-fermentation step with fruits

Cette classification va des bières aux fruits non sucrées, utilisant à la fois des techniques de fermentation traditionnelles et alternatives et impliquant une co-fermentation de la bière et des fruits, aux bières sucrées produites sans étape de co-fermentation.

A la lecture de cette étude, plusieurs questions nous sont venues en tête, notamment la correspondance de cette classification des bières aux fruits avec la législation française sur les bières, les prémix, les autres boissons fermentées alcoolisées et puis les panachés… Par exemple, le mélange bières et limonades est codifié en France, cela s’appelle un Panaché, il doit contenir moins de 1,2% d’alcool. Nous nous sommes donc mis à la recherche des origines de cette boisson et des autres pratiques de mélanges dans le monde, pour (re)découvrir une boisson qui nous a mis, si ce n’est l’eau, la “bière aux fruits à la bouche” : le Radler (ou Shandy)!

 

Shandy et Radler : une histoire de limonade et de vélo (et un peu de littérature)

 

L’origine du “panaché”, c'est-à-dire mélanger de la bière avec de la limonade prend ses racines en Angleterre et en Allemagne, c'est l'un des premiers "cocktails". En effet, deux boissons distinctes étanchent la soif des pays anglo-saxons, germaniques et d'Europe Centrale : le shandy et le radler.

Le shandy ou shandygaff est apparu vers le milieu du 19ème siècle en Angleterre.  Il s’agit d’un mélange de bière et de Ginger Beer (apparu au début du 19ème siècle). H.G. Wells en donne sa composition dans une nouvelle de 1853 “L’Histoire de M. Polly” : “deux bouteilles de bières mélangées à 1 bouteille de ginger beer dans une jarre”. Il est à noter que la ginger beer originelle pouvait avoir un taux d'alcool proche des 11%. Ce mélange était donc loin d'alléger le breuvage comme l’actuel panaché. Le mot « Shandy » provient du nom du personnage du roman de Laurence Sterne « Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme » connu pour sa structure narrative non conventionnelle, ses digressions et ses personnages excentriques. Le mot « gaff » signifie quant à lui au début du 19ème une fumisterie ou un non-sens, ainsi que tout lieu public de divertissement. Il est vrai que mélanger de la bière au soda peut être considéré pour certain comme une bonne fantaisie.

De nos jours, le shandy, qui est très populaire en Angleterre, se présente sous 2 formes : le "Bitter Shandy" un mélange à 50/50 de bière bitter et de limonade, et la "lager shandy" dans lequel la bitter est remplacée, comme son nom l’indique, par une lager.

En Allemagne, le Radler fait partie de la famille des Biermischgetränke (boissons à la bière mélangées), leur apparition ferait échos à une vague d’anglophilie à la fin du XIXème dans certaines régions allemandes. Trois villes de ces régions ont d’ailleurs donné un nom à ces panachés : « Alsterwasser » à Hambourg et dans ses environs, « Potsdamer » dans la région de Berlin et « Radler » à Munich. Si le Radler est un mélange bière-limonade au citron ou à l’orange, le Postdamer est un mélange de bière et de limonade à la framboise. Si ce dernier terme est attesté dans une nouvelle de Lena Christ en 1912 (“Souvenirs d'une personne superflue”) où elle fait référence au “Radlermaßen” (la “chope” [d’un litre] du cycliste), la légende commerciale est tout autre.

La légende attribue en effet la création du nom “radler” à un aubergiste de la région de Munich, Franz Kugler, qui avait créé une piste cyclable menant à son établissement en 1922. Lors d’une chaude après-midi d’été, des milliers de cyclistes auraient débarqué dans l’établissement vidant rapidement les stocks de bières. Afin d’éviter de se retrouver à sec, Kugler aurait coupé son restant de bière avec une limonade dont il n’arrivait désespérément pas à se débarrasser. La boisson aurait rencontré énormément de succès auprès de ce public ayant grand besoin de se désaltérer, elle en aurait pris leur nom, “Radler” signifiant “cycliste”. N’oublions pas que le début du XXème siècle a été marqué par la révolution et la démocratisation du vélo, dont la forme moderne fut conçue en 1884 en Angleterre par John K. Starley.

 

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La Brasserie de Franz Kugler à Deisenhofen en 1929

 

En France, la première mention d’un panaché date de 1929 dans le livre “Au poiss’ d’or” d’Alec Scouffi en 1929. Les origines de notre panaché nationale se sont perdues dans l’Histoire. La limonade est l’une des plus anciennes boissons commercialisées. Ses origines seraient égyptiennes, et la plus vieille recette écrite date du 13ème siècle dans un livre de cuisine arabe. On en retrouve trace à Paris dès 1630, et en 1676 “la Compagnie de Limonadiers” obtient le monopole de sa vente.

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Vendeuse de Limonade vers 1800

 

La limonade carbonatée apparaît quant à elle en Angleterre en 1833. Joseph Priestley a mis au point l’eau carbonatée en 1767 à partir d’une méthode inventée par le suisse Johann Jacob Schweppe qui partit quelques années plus tard, en 1783, à Londres pour fonder l’entreprise Schweppes. La plus ancienne marque de limonade anglaise, R. White's Lemonade, est vendue au Royaume-Unis depuis 1845. Vers 1879 apparaissent les Limonades Roses, des limonades mélangées à des fruits frais tels les fraises, les mûres, les framboises, les grenades ou bien les pastèques. 

 

schweppe machine carbonatation

Machine de Carbonatation selon les principes de Johann Jacob Schweppe

 

Autre point à noter également, une grande partie des brasseries ont très vite diversifié leurs productions dès le 19ème siècle, produisant le plus souvent au côté de leurs bières de la limonade…

« Radler » ou « Shandy », les termes sont ainsi interchangeables, même si le second serait plus spécifique aux bières aux citrons.

 

Radler is the new Panaché

 

En Europe Centrale, deux variétés sont toujours très consommées durant l’été : celle de la brasserie Schöfferhoffer à base de bière de blé de style Hefeweizen et de pamplemousse, et celle de la brasserie Stiegl faite à partir de bière blonde de type Helles et citron ; elles ont un taux d’alcool moyen de 2,5%. On trouve de nombreuses variantes, comme le « Russ » en Bavière qui mélange bière blanche et citron, des radlers à base de bière de style Dunkles, ou bien en Autriche où un radler est commercialisé et préparé avec leur soda national aux herbes : l’Almdudler.

 

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Les radlers classiques des brasseries Schöfferhoffer et Stiegl

 

Aux Etats-Unis, l’une des shandys les plus répandues est la Brasserie Leinenkugel qui propose notamment un Shandy au citron et un au pamplemousse, titrant toutes deux à 4,2% d’alcool.

 

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Quelques shandys et bières aux fruits de la brasserie Leinenkugel 

 

Leur popularité est croissante en Amérique du Nord, où de nombreuses variantes ont vu le jour ces dernières années, préparées avec des jus de fruits frais ou des limonades.

Les proportions de bières et de limonades ou fruits oscillent entre du 50-50 à du 40-60 avec des taux d'alcool allant de 2 à 5% (parfois plus). Les premières variantes sans alcool commencent également à voir le jour. Le secret de la réussite réside semble-t-il dans l’utilisation d’une base, bière et limonade, de qualité….

A base de citron, gingembre, citron et gingembre, mais aussi pamplemousse, framboise, pêche, les mélanges fleurissent et les brasseurs, comme d’habitude, ne manquent pas d’imagination. On peut d’ailleurs s’imaginer des radlers avec un peu tous les fruits disponibles localement.

 

Quelques exemples de radlers en Amérique du Nord :

 

Récemment, une entreprise à mission Québécoise, Loop, qui lutte contre le gaspillage alimentaire, récupère les invendus de fruits pour produire des radlers. Sa gamme est composée de 3 radlers à base de clémentine, pamplemousse et de fruit de la passion, avec un taux d’alcool de 3,5%.

Besoin en innovation, en opportunité commerciale, terroir (fruits locaux), économie circulaire,… corrélés à la recherche des consommateurs de bières plus légères et fruitées, mais aussi à la réinvention du panaché…. les radlers sont pour nous une voie à explorer et surtout à tester dès cet été en France avec l’arrivée du monde entier pour les Jeux Olympiques de Paris …  A vos batchs, prêts, brassez!

 

Vincent Ferrari

 

Ref/Source : 

Fruit beers, beers with or without a co-fermentation step with fruits : https://doi.org/10.1016/j.copbio.2024.103081
11 Radler Beers to Try When You Want Light and Refreshing : https://www.foodandwine.com/beer/low-alcohol-beer-radler-beers
What the hell is a radler ? : https://www.americancraftbeer.com/what-the-hell-is-a-radler/
The Rise of the Radler : https://elite-brands.com/blog/the-rise-of-the-radler/

 

Bonus :

 

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