Si peu de traces des bières rustiques et fermières restent en Europe de l’Ouest, certaines régions scandinaves et baltiques, et dans une certaine mesure, en Europe de l’Est et en Russie, ont préservé un savoir-faire ancestral, du maltage au brassage, en passant par le maintien des levures qui semble remonter aux origines mêmes de la bière en Europe.

Elles se nomment :  Sahti en Finlande, Gotlandsdricke en Suède, Koduõlu en Estonie, Kaimiškas en Lituanie et Maltøl et Gårdsøl en Norvège, qui nous intéressent plus spécifiquement dans cet article au travers de sa levure Kveik, et de sa méthode de brassage qui stimulent l’imaginaire du monde brassicole en ce moment.

 

Bières traditionnelles norvégiennes

 

Lorsque Lallemand a annoncé sa nouvelle levure Kveik Voss il y a quelques semaines, nous nous sommes étonnés de cette « étrangeté », les bières produites avec ces souches anciennes étant rares, voire des curiosités dans leur propre pays, nous faisant remonter à une époque où la consommation de bière et de boissons fermentées était étroitement liée à l’accès à l’eau potable et à la culture de la fête. Si l’image des « banquets d’Astérix » peut paraître exagérée, on retrouve pourtant des traces historiques de fêtes à rallonges, notamment pour sceller des alliances. De cette époque, se sont constitués deux grands types de boissons : les bières et boissons fermentées peu ou pas alcoolisées, parfois acides « sour » pour des consommations courantes, et les « bières de fêtes » dont l’épaisseur et le taux d’alcool faisait la fierté de leurs producteurs et de leurs « tribus », plutôt suaves et maltées.

Repérées dans les années 1990 par Michael Jackson, les bières Kveik étaient très peu connues du grand public, jusqu’à ce que Lars Marius Garshol commençât à s’y intéresser dans les années 2010, à documenter les bières traditionnelles dans son blog, et à faire (re)découvrir les brasseurs paysans dans son propre pays, souvent isolés de par la géographie de la Norvège parsemée de Fjords, et s’étendant au-delà du cercle polaire. Il a ainsi pu catégoriser les bières fermentées norvégiennes appelées Maltøl, en 3 grands styles (et des variantes annexes) : Kornol, Vossaøl et Stjørdalsøl.

Tout d’abord, la Kornøl (littéralement bière de céréales), produite dans les environs de Sunnmøre et de Nordfjord dans la région de Bergen, qui est une bière fruitée sentant le genièvre, allant du jaune au « clair »/pale, avec un taux d’alcool compris entre 6 et 8%.

La Stjørdalsøl, une bière caramélisée aux flaveurs fumées et dorées d’environ 6 à 9% d’alcool, faite dans l’agglomération de Stjørdal vers Trondheim, qui comporte près de 50 malteries traditionnelles, soit environ 1 brasserie/malterie pour 100 habitants, la plus grosse concentration au monde semble-t-il. Si cette bière utilise une technique de maltage traditionnelle, les levures locales se sont perdues dans les années 1970.

Enfin, les Vossaøl provenant de la région de Voss également dans la région de Bergen, très proche des Kornøl, à la différence que les Vossaøl peuvent mijoter de longues heures souvent au feu de bois, et qu’elles ont maintenu à travers les âges, leurs levures traditionnelles que l’on nomme Kveik.

 

 

Les levures Kveik

 

Les levures Kveik norvégiennes sont un groupe génétiquement distinct de levures de bière domestiquées, Saccharomyces cerevisiae, bien que faisant partie de cette famille selon une étude de 2018, elles contiennent entre 3 et 7 souches.

Lorsque l’on demande l’origine de ces levures, certains vous diront qu’elles ont été trouvées par leurs ancêtres dans la forêt. En Finlande, une légende veut qu’elles proviennent de la salive des sangliers (pratique prouvée dans une étude ethnographique en 1948). Les premières traces écrites officielles de ces levures datent de 1780. Il est très difficile de dater leurs découvertes et leurs utilisations, mais leurs répartitions géographiques et leur mode de brassage très similaire en Scandinavie dans les pays baltes et en Russie, font penser qu’elles aient pu être diffusées par les Vikings entre le VIII et XI siècle, ces pays faisant partie de leur aire géographique, et qu’elles leur sont par ailleurs bien antérieures : les gaulois ont inventé le tonneau, et fabriquaient de la cervoise, les premières traces de maltage trouvées archéologiquement remontent actuellement au IIème siècle en France notamment, et l’on sait aujourd’hui que les échanges entre les peuples et les continents étaient très développés dès l’antiquité, comme le démontre Mika Laitinen dans son ouvrage Viking Age Brew.

Le mot Kveik a 2 significations en norvégien, le mot "Kveik" dans le sens de "levure" provient du vieux mot nordique "kvikk" (Eng : vigoureux et rapide) dans le sens de "sain, vif". Le mot anglais "quick" vient de la même racine. Mais il signifie aussi « insuffler la vie à quelque chose ». A noter que les levures modernes sont appelées gjær en norvégien.

Ces levures ont des propriétés très pertinentes pour le secteur brassicole, elles ont généralement une floculation élevée, pas phénoliques au profil neutre (POF-), et qui présentent une atténuation élevée, tolérant les hautes températures. Les levures Kveik fermentent ainsi entre 30 et 40° (comparé à une moyenne de 15 à 20° pour les levures Ale) et peuvent tolérer un taux d’alcool entre 13 et 16%. Elles peuvent être utilisées pour produire de nombreux types de bières dont les IPA.

Elles sont maintenues de génération en génération, en les recueillant sur le haut de la cuve de fermentation à l’aide d’un anneau de bois assez complexe, où elles sont mises à sécher.

 

Techniques traditionnelles de brassage des bières Kveik

 

Dans un premier temps, les brasseurs font infuser des branches de genièvre dans de l’eau, à une température d’environ 80°. Lorsque cette chauffe est réalisée au feu de bois, cela peut prendre assez longtemps, si le feu n’est pas très important comme vous pouvez l’imaginer. En parallèle, on prépare le malt en le mélangeant avec un peu de l’infusion au genièvre. Le malt est incorporé dans une cuve de sédimentation, et on verse le restant de l’infusion pour le porter à une température d’environ 70°. Le mélange est brassé durant 3 à 6h, mais ne doit pas descendre au-dessous de 50°, afin d’éviter qu’il devienne acide. Le moût est par la suite transféré dans une cuve, où l’on ajoute du houblon et d’autres ingrédients éventuels comme des fleurs, puis est bouilli pendant 4h, afin de réduire son volume d’une bonne moitié. Un peu de houblon peut être ajouté de nouveau 15 à 30 minutes avant la fin de l’ébullition. Après refroidissement à une température comprise entre 30 et 40° (parfois même légèrement plus), la levure Kveik est enfin ajoutée, pour effectuer une fermentation à chaud qui dure de 3 à 4 jours avant le soutirage final.

 

 

 

Conseils de brassage de la levure Kveik Lallemand

 

La levure de brasserie Kveik de Lallemand, LalBrew® Voss obtenue grâce à Sigmund Gjernes de Voss, possède une grande polyvalence. Côté styles, son caractère assez neutre lui confère une adaptabilité remarquable. On l’emploiera pour tout type d’ales neutres, où le phénolique n’est pas souhaité. De plus, la température n’influe que très modérément sur son profil. On notera toutefois des notes d’écorces d’orange. Sa température optimale en fermentation est de 39°C. Enfin, cette souche possède une bonne capacité de floculation. Pour l’ensemencement, n’hésitez pas à utiliser cet outil : https://www.lallemandbrewing.com/en/continental-europe/brewers-corner/brewing-tools/pitching-rate-calculator/ ou à prendre contact avec Lallemand Brewing.

 

attenuation fermentation levures voss kveik lallemand

Live Facebook Lallemand "All Things Kveik Yeasts" avec Lars Marius Garshol - Mai 2020 :

 

Les bières traditionnelles nous invitent plus que jamais aux voyages, aux découvertes et à la réflexion. Bien que très anciennes, les levures Kveik sont quelque part très disruptives par rapport aux techniques de brassage actuelles, peut-être même une vrai révolution ! Des Brasseries traditionnelles "commerciales" apparaissent d'ailleurs en ce moment dans les pays scandinaves. A tester donc en urgence pour les passionnés de brassage et les créateurs !

 

Voir la fiche de la levure Voss Kveik

 

Références :

Blog de Lars Marius Garshol : http://www.garshol.priv.no/blog/
Q&A with special guest Lars Marius Garshol - Lallemand : https://www.lallemandbrewing.com/en/united-states/news/questions-to-special-guest-lars-marius-garshol/
Mika Laitinen Viking Age Brew https://www.brewingnordic.com/books/
Traditional Norwegian Kveik Are a Genetically Distinct Group of Domesticated Saccharomyces cerevisiae Brewing Yeasts : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6145013/
On the Kveik Trail: The Yeast That’s Disrupting the Brewing World : https://www.brewersassociation.org/the-new-brewer-article/on-the-kveik-trail-the-yeast-thats-disrupting-the-brewing-world/
Festival Voss : http://www.vossølfestival.no/
Un grand remerciement à Roar Sandodden de la Brasserie Alstadberg Tradisjonsbryggeri pour les images de cet article : https://www.facebook.com/alstadbergtradisjonsbryggeri/

 

Vincent Ferrari 2020

 

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