Si d'anciennes brasseries conservent des cultures de bière multi-souches, peu de nouvelles expérimentent les possibilités des mélanges de levures. Pourtant les mélanges pourraient procurer plusieurs avantages en termes de saveur et de performance de fermentation. Mais cela pourrait conduire aussi à la création de nouveaux styles de bières, grâce par exemple à des mélanges de souches de levures de bières et de vins.

 

Le rôle de la levure dans le brassage, un regard sur l'histoire.

 

Sans levure, pas de bière. Pas de bière, pas de civilisation. La bière est brassée depuis des millénaires (environ 13 000 ans, selon certaines preuves archéologiques). Toutefois, ce n'est que relativement récemment que nous avons commencé à comprendre le rôle que joue la levure dans la production de la bière et dans la fermentation alcoolique. Les brasseurs et brasseuses de l'Antiquité s'appuyaient sur des sources naturelles, « l'inoculum », pour démarrer la fermentation, sans savoir ce qu'était la levure.

Pendant longtemps, le brassage a été un mélange de mystère, de magie et de tradition, et les cultures de levures utilisées pour la production de bière étaient principalement des cultures multi-souches (c'est-à-dire des cultures de levure contenant 2 ou plusieurs souches distinctes) qui reposaient sur des interactions donnant du caractère et de la diversité aux styles de bière. Sans le vouloir, la levure a été ainsi domestiquée et les cultures qui fermentaient le mieux ont été sélectionnées. On en a déduit que la levure était importante et on recueillait le sédiment crémeux d'un brassin pour l'inoculer aux brassins suivants.

Ce n'est qu'au milieu du 19e siècle que Louis Pasteur a identifié la levure comme étant responsable de la fermentation alcoolique.

Ces progrès, associés à de nouvelles techniques microbiologiques stériles, ont conduit Christian Hansen à développer la technique de culture pure en 1883, isolant ainsi pour la première fois des cultures de levures à souche unique.

Cette technique, associée à des progrès techniques tels que la réfrigération, a entraîné l'industrialisation généralisée de la production de bière blonde, et l'utilisation de cultures de levure pure à souche unique est devenue la norme.

On pourrait bien affirmer que ces progrès ont abouti à une homogénéité des styles et des saveurs de bière, au détriment de la diversité. Cette influence est largement restée dominante, la grande majorité des bières fabriquées dans le monde étant produites avec des cultures à souche unique.

Bien sûr, il existe des traditions brassicoles régionales qui n'ont pas succombé à l'homogénéité des techniques et des styles. Les cultures de levures utilisées dans les styles de brassage belges traditionnels par exemple, peuvent être très complexes, avec plusieurs Saccharomyces, non-Saccharomyces et parfois des bactéries présentes, ce qui donne un caractère sensoriel audacieux et distinct.

De même, au Royaume-Uni, un certain nombre d'anciennes brasseries régionales conservent des cultures de bière multi-souches qui donnent souvent à leurs bières un caractère unique et une "saveur maison". Une tradition brassicole notable qui suscite actuellement beaucoup d'intérêt est la bière de ferme norvégienne et l'utilisation de cultures Kveik.

Ces différentes cultures gagnent en intérêt et en popularité à la fois en termes de contribution unique à la saveur et à l'arôme, mais aussi pour des caractéristiques fonctionnelles telles que la tolérance à des températures de fermentation élevées (>35°C) et des temps de fermentation très rapides (<48 heures). Le tableau ci-dessous détaille les travaux récents caractérisant la composition de certaines de ces cultures Kveik, qui contiennent un mélange de levures (et parfois de bactéries) avec des niveaux de complexité variables.

 

Pourquoi mélanger des levures ?

 

Les gammes et la diversité des souches et des cultures de levures disponibles dans le commerce ne cessent de croître, la grande majorité d'entre elles étant des cultures mono-souche bien caractérisées. Avec un tel potentiel et un tel choix, le mélange de souches représente une opportunité encore plus grande pour les brasseries d'augmenter la diversité des saveurs et des fonctions.

Plusieurs approches peuvent être adoptées pour mélanger les souches, dont certains avantages potentiels :

- Mélange pour la saveur ; être capable d'affiner et peut-être même de créer de nouveaux profils sensoriels avec différentes combinaisons de souches de levure.
- Performance de la fermentation : sélectionner des souches avec des caractéristiques fonctionnelles spécifiques pour atteindre un objectif souhaité qui pourrait inclure la tolérance à la température, l'utilisation des sucres, la floculation et la prévention ou le sauvetage d'une fermentation bloquée.
- Gestion des coûts
- La satisfaction d'une demande continue du marché pour quelque chose de "différent", comme par exemple les hybrides vin-bière.

Bien sûr, il ne s'agit pas simplement de mélanger différentes souches et d'espérer le meilleur, il est impératif de prendre en considération et de comprendre les caractéristiques des différentes souches et de considérer des traits tels que :

- La phase de latence ; les différences entre les souches
- Utilisation du substrat : quels sucres les levures peuvent-elles fermenter ?
- Floculation : comment les souches interagissent-elles ?
- La saveur : les souches seront-elles complémentaires et bien adaptées les unes aux autres ?
- Facteur de destruction ; un facteur très important à prendre en compte lors de l'utilisation de levures de vin en cofermentation (voir ci-dessous). Une levure « killer positive » peut-elle inhiber les autres levures présentes ?
- Quand ajouter les levures : ensemble (cofermentation), inoculation séquentielle, fermentation secondaire ?

Une question évidente et un inconvénient potentiel du mélange de souches est de savoir comment on peut récolter et réensemencer une culture multi-souches ? Cela peut s'avérer difficile en fonction des souches utilisées, et le prélèvement d'un échantillon représentatif pour un réensemencement ultérieur devient très difficile à réaliser du point de vue de la cohérence.

La concentration cellulaire et la dominance d'une souche par rapport à l'autre rendent problématique la cohérence d’un réensemencement, ce qui peut limiter le mélange à un seul usage. De plus, le résultat du mélange des souches de levure est incroyablement difficile à prévoir.

Bien que de nombreuses souches de levure soient très bien caractérisées, il existe actuellement peu de recherches et d'informations sur la façon dont elles interagissent avec d'autres souches. Il y aura toujours un certain degré d'essais et d'erreurs jusqu'à ce que davantage d'informations soient disponibles.

Exemples :

possibilites melanges levures brassage bieres cofermentation

 

Potentiel avec les levures de vin

 

Il existe plusieurs cultures de levures belges notables dont on soupçonne qu'elles trouvent leur origine dans le vin. Au cours des dernières années, on a fait des incursions dans l'utilisation des levures de vin pour des applications brassicoles, mais cette pratique n'a pas été largement adoptée pour la recherche de nouvelles saveurs.

Au Royaume-Uni, un certain nombre de brasseries ont utilisé des levures de vin en cofermentation avec des levures de brassage pour obtenir un profil et un caractère de saveur qui n'auraient pas pu être obtenus en utilisant une levure de brassage seule. Par exemple, Runaway Brewery (Manchester) a produit plusieurs bières en utilisant la souche de levure Lalvin 71B (Beaujolais) en cofermentation avec une levure de saison (Belle Saison) dans des bières telles que Farmhouse Pale, Black Grape (avec ajout de jus de raisin) et Dandelion Ale.

Dans ces exemples (et dans les exemples similaires ci-dessous pour la "Graft" de Donzoko), la levure de vin (71B) est ensemencée en premier, puis la levure de saison (Belle Saison) est ajoutée pour compléter l'atténuation. Il s'agit d'un exemple d'inoculation séquentielle dans lequel les levures ne sont pas ensemencées en même temps ; le principe étant que la levure de vin est utilisée pour la fermentation primaire afin de donner un caractère et une saveur distincts, mais comme elle ne consomme pas le maltotriose, un sucre tri-saccharide, la levure de saison (avec une activité diastasique et donc une atténuation très élevée) est introduite pour compléter la fermentation et réduire toute douceur résiduelle, tout en complétant le caractère de la souche de vin.

Il existe un potentiel à explorer dans ce domaine. Les principales considérations à prendre en compte sont la consommation du sucre par la ou les souches de vin et le fait que la souche soit ou non « Killer Positive ». La 71B a été sélectionnée pour les bières ci-dessus en partie parce qu'il s'agit d'une souche « Killer Negative ».

 

Profil - Donzoko "Graft" :

- Levure Beaujolais (71B) & Belle Saison
- Inoculation séquentielle
- Fermentation primaire : levure de vin
- Atténuation complète : Saison
- Style fermier
- Caractéristiques sensorielles complexes et complémentaires

 

Au-delà des levures de brasserie

 

En plus d'explorer la gamme variée de levures de vin à la recherche d'arômes potentiels, les brasseries commencent à regarder au-delà des levures de brasserie typiques S.cerevisiae et S.pastorianus, et à envisager d'autres sous-espèces de Saccharomyces, ou des souches non-saccharomyces, ou des bactéries et des souches sauvages pour d'autres sources de microflores qui pourraient contribuer au style et à l'arôme de la bière.

Des souches comme S. kudriavzevii et Torulaspora delbrueckii ont un certain potentiel pour la production de nouveaux arômes, tandis que les espèces productrices d'acide comme Lachancea thermotolerans pourraient représenter un potentiel intéressant pour la production de bières acides/sour. De même, il y a beaucoup plus à rechercher et à tester en termes de bactéries (au-delà des lactobacilles) et, bien sûr, les levures sauvages comme Brettanomyces sont utilisées en brasserie depuis des siècles. Cela pourrait représenter une nouvelle approche de la fermentation brassicole et de la microflore utilisée.

Il ne fait aucun doute qu'il existe un grand potentiel en termes de contributions sensorielles et fonctionnelles de ces levures et bactéries étranges et merveilleuses, mais la problématique de la contamination croisée est toujours à prendre en compte, et les brasseurs comme les fournisseurs ont la responsabilité fondamentale de comprendre avec quoi ils travaillent et de gérer les risques en conséquence.

 

La Palette de l'Artiste

 

Les options et la diversité disponibles dans les levures et les bactéries peuvent être comparées au concept de la palette d'un artiste, qui consiste à mélanger les souches pour obtenir des résultats sur mesure. Les brasseurs et les brasseuses peuvent utiliser le large spectre de différentes souches pour exprimer des caractères dans une bière finie qui ne pourraient pas être atteints par une seule souche et pour créer de nouvelles bières vives et audacieuses.

Les combinaisons possibles sont pratiquement illimitées.

 

Conclusion

 

Les cultures multi-souches ont historiquement joué un rôle important dans le brassage, en particulier pour définir le caractère régional et la complexité des styles de bière. On commence maintenant à revisiter et à redécouvrir une partie de cette complexité, qui a sans doute été perdue dans le brassage industriel moderne.

L'intérêt croissant pour les cultures mixtes, comme les souches Kveik, témoigne de cet appétit croissant pour la recherche de nouvelles bières avec "quelque chose de différent". Il ne fait aucun doute que le mélange et la cofermentation présentent un grand potentiel, tant en termes de création de nouvelles caractéristiques sensorielles souhaitables que d'avantages fonctionnels et pratiques.

Cependant, avec toutes les options potentielles et l'enthousiasme suscité par le mélange des souches de levure, nous devons toujours comprendre avec quoi nous travaillons, comment les souches interagiront, quelles caractéristiques elles présenteront et, en fin de compte, si leur manipulation est sûre dans la brasserie et pour le consommateur.

Repousser les limites comporte certainement des risques, mais aussi des avantages, et il ne fait aucun doute qu'il y a encore beaucoup de travail et de recherche à faire dans ce domaine.

 

Consulter le catalogue des levures Lallemand

 

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