Vous les avez peut-être un jour croisés lors d’un séjour en Allemagne ou au détour d’une brasserie en Europe, leur costume, en effet, ne passe pas inaperçu. Peu d’entre nous savent qui ils sont ; ces jeunes allemands sont pourtant les représentants d’une tradition séculaire unique en Europe : le compagnonnage des Brasseurs.

Nous avons profité de notre séjour à Nuremberg le mois dernier pour aller à la rencontre des Compagnons qui nous avaient déjà intrigués il y a 2 ans.

 

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Robert Schäfer (à droite) et ses Compagnons en visite au Brau Beviale à Nuremberg

 

Auf der Walz sein (≈ être en Tour)

 

La tradition du Compagnonnage chez les Brasseurs en Allemagne remonte à l’époque médiévale. Lorsqu’un apprenti était libéré de ses obligations envers son Maître (Freisprechung) après plusieurs années d’enseignement (Lehrjahre), les Guildes de Brasseurs ne lui permettaient ni de s’y inscrire ni d’être promu directement au rang de Maître. Le compagnonnage (Geselle) était ainsi l’unique voix pour y parvenir, au travers d’une formation transversale de la menuiserie à la brasserie en passant par le travail du métal, pour une durée de 2 ou 3 ans et 1 jour (Auf der Walz sein).

 

Au terme de la moitié des années de compagnonnage requises (Wanderjahre ≈ année de vagabondage), l'artisan peut s’inscrire auprès d'une guilde. Au terme de son tour, l’artisan s'installe dans un atelier de la guilde et après plusieurs années d'essais (Mutjahre), il est autorisé à produire son "chef-d'œuvre" (Meisterstück) et à le présenter à la Guilde afin d’être promu "Maître de Guilde". Il peut ainsi enfin ouvrir son propre atelier en ville. Des signes secrets, tels que des poignées de main spécifiques, leur sont toujours enseignés afin de s’identifier mutuellement.

Plusieurs règles doivent être observées par les compagnons durant leur tour. Tout d’abord porter un Uniforme spécifique, le « Kluft », inspiré de l’uniforme des charpentiers allemands avec notamment un chapeau noir à bord large. Les compagnons doivent se présenter d'une manière propre et amicale en public afin tout d’abord de ne pas être confondu avec des vagabonds (!). En effet, les compagnons Allemands ne peuvent se déplacer qu’à pieds et ne peuvent donc pas utiliser de moyens motorisés, et ce, toujours aujourd’hui, contrairement par exemple aux Compagnons Français contemporains. Dans chaque nouvelle ville où ils se rendent, ils doivent faire timbrer leur livre de voyage (Wanderbuch) afin de s’enregistrer. Ils ne doivent pas par ailleurs retourner à moins de 50 kilomètres de leur ville natale, sauf dans des situations d’urgence comme le décès d’un proche.

Le compagnon doit être célibataire, sans enfants et sans dettes, présenter un certificat de Police, afin que le compagnonnage ne soit pas un moyen de fuir ses obligations. Il n’emporte avec lui que 5 euros (autrefois 5 Deutschemarks) et est censé rentrer chez lui avec la même somme afin de ne pas accumuler de richesses ou de ne pas trop dépenser, et surtout pour se concentrer uniquement sur ses expériences et son apprentissage. Afin de pallier à toute éventualité, les compagnons portent tout de même sur eux une boucle d'oreille et des bracelets en or, qui pouvaient servir, par exemple autrefois, à payer les funérailles d’un apprenti mourant au cours de son voyage.

Si cette tradition s’était un peu ralentie pendant l’entre 2 guerres et les 30 glorieuses, la tradition s’est ravivée dans les années 80. Il y aurait aujourd’hui entre 500 et 700 compagnons à faire leur tour, dont de plus en plus de femmes.

 

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Titre de Maître Malteur et Brasseur de la ville de Iéna pour Johann Gottlob Plathe (Gesellenbrief der Mälzer und Brauer der Stadt Jena für Johann Gottlob Plathe )
Crédit : Deutsches Historisches Museum

 

Valse Musette

 

En France, il n’y a pas de trace à proprement parlé de compagnons Brasseurs dans l’Histoire, selon le Musée du Compagnonnage de Tours. Mais pour Maxime Costilhes de Brasseurs de France « cette corporation était autrefois liée à celle des tonneliers, les brasseurs faisant traditionnellement leurs bières pendant les mois froids et leurs tonneaux les mois chauds. Lors de la dissolution des corporations (NDLR : et du compagnonnage en 1791 pendant la Révolution par le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier), les deux branches se sont scindées ; par la suite, seul le compagnonnage dans les métiers du bois s’est reconstitué. On peut penser que les compagnons tonneliers étaient en fait tonneliers-brasseurs !»

Benoit Taveneaux du Musée du Brasseur de St Nicolas s’est également intéressé à cette tradition pour la réintroduire. Par l’intermédiaire du syndicat Brasseurs de France, qui s’est approché des Compagnons du Devoir , la possibilité de devenir Compagnon Brasseurs est actée, reste à en définir les contours et à trouver des candidats. Depuis une dizaine d’année déjà, les métiers de bouche sont de nouveau à l’honneur et des Compagnonnages dans la Viticulture, la Charcuterie et la Fromagerie (depuis quelques mois) se sont ouverts. « Le sujet avance mais nous avons été confrontés à plusieurs problématiques. Tout d’abord le statut de compagnon, celui d’apprenti, est soumis à une limite d’âge, 28 ans, 29 ans selon la nouvelle loi. Hors l’âge moyen d’entrée dans la profession est aujourd’hui de 30-32 ans. Puis la durée du compagnonnage, de 7 ans, établie par les Compagnons du devoir est vraiment longue (NDLR : contre 2 à 3 en Allemagne…) à l’heure où les brasseurs actuels sont désireux d’être indépendant au plus vite » nous confie Maxime Costilhes pour qui « l’étape suivante du compagnonnage sera d’introduire le titre de Meilleur Ouvrier de France dans la Brasserie. »

A l’heure où une nouvelle page de l’histoire de la Bière est en train de s’écrire, il est aussi temps de penser aux prochaines générations, à vos successeurs. C’est donc à vous –Brasseurs- de réinventer et réimplanter cette belle tradition -et expérience de vie- qu’est le compagnonnage, de retisser des liens avec des corporations de métiers (tonnellerie, charpente, métallurgie,…), de vous approcher des fédérations de Compagnonnage, de soutenir cette initiative et d’apporter vos idées, afin d’aider à définir un parcours pour les futurs Compagnons Brasseurs Français. Et enfin de prévoir, si vous le pouvez, une petite place pour un apprenti qui viendrait frapper à votre porte.

Lien :

Compagnon du devoir : compagnons-du-devoir.com

 

Bonus :

V.F.

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