La Tequila et la bière à la couronne, au nom espagnol éponyme, sont aujourd’hui les fières représentantes du Mexique à l’international. Boissons favorites également des mexicains, leurs techniques de production ne remontent qu’à l’époque coloniale. Mais si la bière et la Tequila ont été adoptées aussi rapidement, c’est qu’elles s’inscrivent dans la lignée des nombreuses boissons fermentées, que les différents peuples du Mexique produisaient depuis fort longtemps, à partir d’ingrédients comme l’agave, le cactus ou bien le maïs.
Une partie de ces boissons existe toujours et certaines sont encore très consommées comme le Tepache, le Tejuino ou le Pulque, prononcé « Pulqué », qui redevient même très à la mode. La vague de renouveau de la bière artisanale a également atteint le pays, et certaines brasseries s’essayent à la fusion des genres. On vous emmène à la découverte des bières et des fascinantes boissons fermentées traditionnelles mexicaines.
Boissons Fermentées Traditionnelles – Histoire de la Bière au Mexique – Les Brasseries Artisanales Mexicaines
Boissons Fermentées et autres boissons traditionnelles mexicaines
Marchands ambulants, échoppes, bars et restaurants, impossible de passer à côté : la restauration - nourriture et boisson - est présente de partout au Mexique. Au top des pays de la « Street Food », dans les grandes villes, des « taquerias » assouviront votre faim 24h/24, quand dans les régions, les spécialités locales aiguiseront votre curiosité et vos papilles. D’autant plus, lorsqu’on vous propose une chope d’une boisson un peu trouble !
Street Food : une Taqueria (Mexico) à gauche, des stands de rue au Yucatan à droite – Photos : VF/BtoBeer
La cuisine mexicaine est riche de recettes provenant des civilisations mésoaméricaines et des apports des européens, à partir d’une diversité immense d’ingrédients. En effet, plus de 2000 espèces de plantes sont comestibles. Le Mexique est l'une des régions du monde où l’on compte le plus grand nombre d’espèces végétales domestiquées, comme par exemple le maïs, vers 6000 avant notre ère. Sa gastronomie, bien loin du style Tex-Mex que l’on trouve en Europe, est inscrite au Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité depuis 2010.
Une grande diversité de boissons y est produite, la population en consomme énormément, l’eau courante n’étant pas potable. Sodas, bières, jus de fruits, « eaux fraiches » (Aguas frescas) sont très visibles. Certaines boissons détonnent par leur originalité et sont mal connues en occident. Des établissements y sont consacrés, comme les pulquerias pour le Pulque et les mescallerias pour le Mescal, sans compter tout un autre univers de boissons beaucoup plus traditionnelles à la consommation très locales, révélatrice d’une expertise dynamique millénaire dans les processus de production.
Depuis les Olmèques, à partir de -2000 av. n. è., et les Mayas, à partir de -1600, les civilisations locales ont exploré les techniques alimentaires, les amenant à utiliser différentes techniques de fermentation, alcoolique ou non. On retrouve ainsi des traces d’une boisson au cacao fermenté ayant pu titrer 5° dans une poterie maya datant de -1100 av. n. è. au Honduras. Le Pulque à base d’aguamiel, sirop d’agave, est représenté sur une stèle datant de 200 de n. è. dans le nord du Mexique.
Fragment de la Fresque des Buveurs du site de Cholula (Puebla), représentant la consommation rituelle de Pulque, 200 de n. è. – Photo : VF/BtoBeer
Lors de la colonisation, 75 recettes de boissons fermentées avaient été recensées par Don Antonio Pineda, en 1791. Une étude pluridisciplinaire de 2021 distingue 16 ensembles de boissons fermentées (boisson principale et ses dérivées) à partir de 143 espèces végétales, principalement de cactées, d’agaves et de maïs, accompagnées de fruits, de tiges de plantes, de racines, et de feuilles jouant le rôle de catalyseurs de fermentation, d’aromatisants, de colorants ou bien de stabilisants. Sans compter la découverte des dizaines de souches de levures et de bactéries qui ouvre de nombreux champs de recherche, tant dans les boissons que dans la nutrition.
Distribution géographique des boissons fermentées au Mexique – Source : Traditional Fermented Beverages of Mexico: A Biocultural Unseen Foodscape 10.3390/foods10102390
Les 16 boissons « mères », à fermentation lactique ou alcoolique, sont pour celles à base de
Maïs et autres céréales : Pozol, Atole agrio, Saká, Tejuino, Tesgüino, Chorote, Sendechó ;
Agaves : Pulque, Mescal auxquels nous rajouterons la Tequila ;
Cactus : Colonche;
et pour les autres fruits, arbres, canne, … : Tuba, Taberna, Tepache, Sambudia, Balché, Pox,… .
Principales Boissons Traditionnelles fermentées mexicaines, micro-organismes et groupes culturels attachés – Source : Traditional Fermented Beverages of Mexico: A Biocultural Unseen Foodscape 10.3390/foods10102390
Boissons fermentées à base d’agaves
L’agave, ou « maguey » en mexicain, est l’une des plantes succulentes emblématiques du Mexique. Il en existe plus de 200 espèces, qui se plaisent idéalement à une altitude comprise entre 1500 et 2000 mètres, avec 22° de température moyenne. Une vingtaine de variétés sont utilisées pour produire des boissons. La Téquila est par exemple réalisée uniquement avec l’Agave Tequilana, tandis qu’une une vingtaine de variété est autorisée pour le Mescal. Une grande partie de boissons produites provient du sirop d’agave, extrait de la plante par sa castration puis le creusement de son cœur, que l’on appelle aguamiel. L’agave produit environ 600 litres de sirop pendant un an lorsqu’elle atteint 8 à 12 ans (jusqu’à 20 ans), prélevé par aspiration, en moyenne 2 fois par jour, pendant 4 mois. L’aguamiel se consomme directement, mais il sert également de base pour la fermentation de boissons, comme le fameux Pulque.
Le Pulque
Le Pulque est la boisson la plus traditionnelle du centre du Mexique, évoqué comme boisson des dieux dans les mythologies mésoaméricaines . Il est produit à partir de la fermentation de l’aguamiel des quelques 42 variétés de magueys pulqueros dont les Agaves americana, atrovirens, salmiana, mapisaga et marmorata. Epais et mousseux, de couleur laiteuse et au goût fruité, légèrement terreux, pouvant devenir acide, il se boit soit pur, soit « curado », sucré, mélangé avec des fruits.
Aspiration du Pulque et Pulque fermenté - Photos : Pulcata Val'Quirico
Quetzalcoatl, le dieu serpent à plumes lui-même serait le créateur de la plante et de la boisson -octli poliqhui- pour « rendre la vie plus heureuse ». Mayahuel est la déesse aztèque du maguey, du Pulque, de l’ivresse mais aussi de la fertilité. Emblématique des Toltèques et des Aztèques, le Pulque était aussi connu des Mayas.
Mayahuel, déesse mexica aztèque de la fertilité, de l'abondance, de l'ébriété mystique et de l'agave. - Source : Wikipédia
Pendant l’époque préhispanique, le Pulque avait une portée rituelle et curative. Il était ainsi réservé aux élites, pour les cérémonies, mais aussi aux « vieillards » de plus de 52 ans et aux femmes enceintes(!). Avec la colonisation, la boisson s’est démocratisée et une véritable économie s’est créée autour de sa production, avec la création de nombreuses haciendas spécialisées. Le Pulque devint la boisson préférée des Mexicains jusqu’à ce qu’elle soit supplantée par la bière au début du XXe siècle.
Du Pulque « commercial » - Photo : VF/BtoBeer
Issu de la fermentation spontanée de l’aguamiel qui prend entre 20 et 36h, le taux d’alcool du Pulque varie de 4 à 8%. Il se déguste dans les heures suivant sa production. Les levures saccharomyces sont les plus actives mais des dizaines d’autres levures, bactéries et champignons ont été identifiés. Une dizaine de régions produisant du Pulque, de nombreuses variantes existent selon le localités.
Après avoir survécu dans les régions rurales du centre du Mexique, le Pulque est de nouveau à la mode, notamment grâce à ses valeurs nutritionnelles et probiotiques, avec des productions artisanales plus commerciales et l’ouverture dans les grandes villes de nouvelles pulquerias.
Des Pulquerias au Mexique
Mescal et Tequila
Le Mescal et la Tequila ne sont pas à proprement parler des boissons traditionnelles, les techniques de distillation n’étant apparues en Amérique qu’avec l’arrivée des Espagnols, même si un doute subsiste suite à des traces trouvées sur des céramiques datant de -500 av. n. è. dans les états de Colima et de Tlaxcala. Pourtant leur production est en partie artisanale, surtout pour le Mescal.
Le jus de fermentation de ces alcools n’est pas issu de l’aguamiel, mais des tiges, du cœur et des bases foliaires des agaves. Plusieurs différences existent entre les 2 alcools. Tout d’abord leurs origines : la Tequila n’est produite qu’à partir d’une seule espèce d’agave, la Tequilana, dans un seul état du Mexique, Jalisco (et de quelques municipalités de 4 autres états) ; le Mescal peut être produit à partir de 30 variétés d’agaves dans 8 états (Durango, Guerrero, Oaxaca, San Luis Potosi, Zacatecas, Guanajuato, Tamaulipas et Michoacán). Par ailleurs, dans le Mescal, le cœur de l’agave est préalablement torréfié dans des fours traditionnels en pierre, avant d’être broyé pour en extraire le jus, ce qui explique son goût fumé. Des fouilles archéologiques ont mis au jour des cœurs d’agaves cuits à des fins de consommation, remontant au début de l’agriculture au Mexique, il y a 8000 ans.
Prélèvement du cœur de l’agave – Source : Guadalajara Oficina de Visitantes y Convenciones
La fermentation survient naturellement et prend entre 2 et 4 semaines pour le Mescal. Pour la distillation, si la Tequila est distillée 2 à 3 fois dans des alambics en cuivre, le Mescal peut l’être dans des alambics de bois, de terre cuite ou de céramique (« distillation philippine »). La Tequila non vieillie est appelée « blanco », blanche. D’autres types de dénomination liées au vieillissement s’ensuivent pour les 2 alcools : « joven » (jeune), jusqu’à 3 mois ; « reposado » (reposé/« fermenté »), moins d’un an ; « anejo » (vieux), plus d’un an ; « extra anejo » (extra vieux), plus de 3 ans.
Si la production de Tequila est très industrialisée et que les processus sont parfois raccourcis au détriment de la qualité, celle du Mescal est restée très traditionnelle. Les producteurs de Mescal s’essayent à des créations en série limitée, avec des agaves cultivées ou sauvages, que l’on peut déguster dans les mescallerias très tendances des grandes villes.
Boissons fermentées à base de maïs et autres céréales
Le maïs, originaire du Mexique, est toujours l’aliment de base du pays. Quasi omniprésent dans sa riche gastronomie –on pense notamment aux tortillas…-, sa culture occupe un peu plus de la moitié (51 %) de la surface nationale cultivée. On estime que le processus de domestication aurait pu commencer il y a environ 10 000 ans, bien qu’il ne soit réellement cultivé « que » depuis 6000 ans. Traditionnellement, le maïs est cultivé en association aux haricots ainsi qu’aux courges, dans un des premiers systèmes de polyculture appelé milpa.
Variétés de maïs mexicains - Source VF/BtoBeer
Une quarantaine de variétés originales sont présentes au Mexique ayant des textures, des saveurs et des couleurs très variées. De nombreuses techniques ont été développées pour les rendre digestes dans les 300 variantes de tortillas, mais aussi dans les tamales et pozoles, ou les boissons telles les atoles, le tejuinos ou les pozols ! (sans « e »). Le processus de « nixtamalisation », propre au Mexique, consiste à cuire les grains de maïs dans une solution alcaline, comme de la chaux, afin d’éliminer leurs péricarpes (l’enveloppe du grain) et de faciliter leur hydratation. Par la suite les grains peuvent être consommés « entiers » - dans le pozole par exemple-, ou broyés puis mélangés avec de l’eau pour obtenir une pâte appelée masa. Le masa sert de base à de nombreuses préparations alimentaires et boissons fermentées.
21 espèces de maïs sont utilisées dans les boissons de 21 groupes culturels. Leur consommation est ainsi marquée par une relation profonde et forte avec les populations. Il est à noter que si le substrat principal de ces boissons était les tiges de maïs, la canne à sucre - non originaire du pays - le supplante de plus en plus.
Tesguino, Tejuino, Atole agrio et Pozol
Ces 4 boissons sont toutes issues de la fermentation de pâte de maïs, masa.
Fresque de l’Acropole de Ch’iik Naahb à Calakmul, 620 de n. è. Les glyphes à gauche signifient « Personne Atol » & Calakmul (Yucatan) – L’Acropole de Ch’iik Naahb se situe à droite dans la jungle. – Photos : VF/BtoBeer
Le Tesgüino, communément appelé « bière mexicaine » ou « bière de maïs » bleu ou rouge (riches en anthocyanes antioxydants), est une boisson principalement élaborée par les femmes à partir de la fermentation des grains de maïs. Après environ 5 jours de germination, les grains sont broyés et bouillis pendant environ 12 h. La pâte (masa) obtenue est placée une fois refroidie dans un récipient appelé tesgüinera où la fermentation a lieu pendant 1 à 10 jours. Des plantes y sont généralement ajoutées ainsi qu’un lichen, utilisé comme catalyseur. Le Tesgüino est souvent fermenté au maximum pour le faire devenir liquoreux.
LeTejuino et l'Atol Agrio sont assez similaires au Tesguino bien qu’ils aient une très faible teneur en alcool. Le Tejuino se consomme souvent accompagné de citron, de glace pilée (« con nieve de limon »), de sel et de chile, piment, et peut être mélangé pour moitié avec de la bière dans un cocktail nommé « pachecada » que l’on trouve dans la ville de Tequila ! Le Tejuino est resté très populaire dans l’état de Jalisco, notamment à Guadalajara où il est vendu par de nombreux vendeurs ambulants.
Tejuino con Nieve - Source : VF/BtoBeer
Le Pozol quant à lui est fabriqué avec du maïs traité par nixtamalisation et se consomme souvent avec du cacao. Boisson non alcoolisée, le Pozol est utilisé comme complément alimentaire ou remède. Il est à noter d’ailleurs que les boissons au cacao étaient probablement alcoolisées à l’origine, réalisées sous la forme de bières fermentées, à base de sa pulpe et non de ses graines. On en retrouve de traces datant de 1100 avant notre ère au Honduras.
Enfin, un mashup agave- maïs existe : le Sendecho se sert d’aguamiel comme amorce de « fermentation à la pâte de maïs ».
Boissons fermentées à base de cactus
Nopals & Tunas - Photo : VF/BtoBeer
Le Colonche est une boisson fermentée à partir du jus des fruits du cactus, « tuna,-s », figues de barbarie. Il existe 17 espèces de Nopals, nom commun donné à une variété de cactus très répandu au Mexique, les Opuntias, dont on consomme aussi les raquettes en salade. Après avoir bouilli 2-3 heures, le liquide est mis à fermenter quelques jours. Il a un taux alcoolique de 5 à 8°.
Boissons fermentées à base de fruits :
Vendeur ambulant de Tepache – Photo : VF/BtoBeer
Le Tepache peut être préparé à partir d’une dizaine de fruits, bien qu’il soit principalement populaire pour sa version à l’ananas. Il est parfois produit à partir des fruits des Bromeliaceaes, les tumbiriches, que l’on croise un peu partout dans les bosquets et dans la jungle. Ils ont un faible taux alcoolique, autour de 1%. L'élaboration des Tepaches se fait sur quatre jours : les deux premiers jours, on laisse reposer dans une tepachera, un pot en argile ou en bois, des morceaux de pulpe et de peau d'ananas avec des clous de girofle et de la cannelle, puis on ajoute un mélange préalablement bouilli d'orge et de piloncillo (pain de mélasse de sirop de canne très répandu en Amérique latine et dans les Caraïbes). Après deux jours fermentation, le breuvage peut être consommé. La production se fait généralement dans des bidons en plastique.
A noter que ces derniers mois, des productions « commerciales » de Tepaches voient le jour :
Tepache De La Calle
Boissons fermentées à autres bases
Beaucoup d’autres boissons fermentées à partir de différentes plantes existent, mais sont peu documentées. On peut citer le Balché, la boisson sacrée des Mayas, consommée lors des cérémonies. Préparé à partir de l’écorce du Lonchocarpus, arbre appelé « Savonettes » aux Antilles, mélangé à du miel et de l’eau des cenotes, il est mis à fermenter dans le trou d’un arbre, scellé avec des feuilles de bananier ou de palmier, pendant 2 à 3 jours.
Les Mexicains produisent également du vin de palme et d’acacia, Tuba et Taberna, dont la fabrication date plutôt de la période coloniale espagnole et de l’influence des échanges de cette époque avec les colonies des Philippines.
Le patrimoine immatériel que constituent les boissons traditionnelles mexicaines avec ses plantes et ses micro-organismes commence à peine à être connu et étudié. On espère que des recherches et des expérimentations se feront les prochaines années. Heureusement, certaines boissons comme le Pulque, le Tejuino et le Tepache reprennent peu à peu le devant de la scène.
Histoire de la Bière au Mexique
Une cave à bière au Yucatan – Photo : VF/BtoBeer
La première brasserie de la Nouvelle-Espagne fût fondée par Alonso de Herrera en 1542, à Nájara, une vingtaine d’année après la conquête éclair par Hernan Cortés de l’Empire Aztèque, centre du Mexique actuel. La production et la consommation de bière se développèrent peu durant l’époque coloniale, en raison de la présence des boissons traditionnelles, de la répression sur la consommation menée par les autorités, et des taxes et restrictions imposées aux colonies sur les matières premières et les biens.
A l’indépendance du Mexique, au début du XIXe siècle, de nouvelles brasseries voient le jour. Cependant, il faut attendre la seconde moitié de ce siècle pour que l’industrie prenne son envol, grâce au développement du chemin de fer et de l’afflux de migrants notamment allemands.
Par ailleurs, plus qu’anecdotique pour la vogue de la brasserie au Mexique, l’influence du très éphémère Empereur du Mexique, Maximilien 1er, archiduc autrichien, qui faisait brasser ses propres Lagers Viennoises brunes. Deux bières toujours très populaires aujourd’hui, la Negra Modelo et la Dos Equis Ambar, en sont les héritières directes.
Portrait de Maximilien 1er en Empereur du Mexique et Bière Negra Modelo et Dos Equis Ambar
La première grande installation industrielle date de 1890, à Monterrey, pour la Cerveceria Cuauhtémoc, qui deviendra l’un des plus grand groupe brassicole mexicain. En 1897, le brasseur allemand Wilhelm Hasse crée la Dos Equis (XX), en l’honneur de l’arrivée du XXe siècle. La Sol vendue dans une bouteille transparente apparait en 1899.
Cervecería Cuauhtémoc à Monterrey vers 1930 – Source : Boston Public Library
En 1918, on ne compte que 36 brasseries au Mexique. La prohibition aux Etats-Unis aidera considérablement le développement de l’activité par la création d’établissements tout le long de la frontière. La brasserie Modelo se constitue en 1925, elle produira la Corona à partir de 1926 qui est aujourd’hui l’une des bières les plus vendues au monde, dans plus de 150 pays. La communication, la publicité et l’omniprésence de la bière lui ont permis de détrôner le Pulque dans le cœur des consommateurs mexicains… la chela comme elle est surnommée, de chel qui signifie blond en maya.
Cerveceria Modelo Mexico
Par la suite, le XXe siècle fut marqué par le rachat progressif de toutes les petites brasseries par de plus grands groupes, jusqu’à ce qu’il ne reste que deux grands producteurs Cervecería Modelo (Grupo Modelo) et Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma (FEMSA).
Le portefeuille de marques de bière du Grupo Modelo se compose Barrilito, Corona, Modelo, Victoria, Estrella, Léon, Montejo et Pacifico. Celui de la FEMSA de Tecate, Sol, Dos Equis, Carta Blanca, Superior, Indio et Bohemia.
Les Bières du Grupo Modelo
La majeure partie de ses bières sont des lagers légères de style Pilsner, les "mexican lagers" à l’exception des brunes de style viennois. Les bières mexicaines, plutôt légères, se marient bien avec la cuisine plutôt relevée du pays. Au Mexique, la bière est très peu servie à la pression. La plupart des bières se vendent en bouteille de 355 ml, mais des formats particuliers comme la Caguama ou Ballena d’une contenance de 940ml et 1,2 l sont très populaires. Les canettes ne sont pas en reste, avec des formats de 473 et 710 ml.
La bière se consomme régulièrement en cocktail : la michelada, mélange de jus de citron, piment, sel, et de sauces d'assaisonnement, de jus de tomate voir de Clamato, un mélange de bouillon de palourde et de jus de tomate, très populaire en Amérique du Nord.
A l’instar de la France, le secteur brassicole mexicain a connu une concentration et une perte de souveraineté. En janvier 2010, Heineken rachète la totalité des activités bières de la FEMSA pour 5,5 milliards de dollars US. La FEMSA décroche en échange 20 % des parts du groupe Heineken, devenant ainsi le deuxième actionnaire principal du groupe hollandais. En juin 2012, AB Inbev finit quant à lui l’acquisition du Grupo Modelo en achetant les 50% des parts lui manquant, pour 20,1 milliards de dollars US.
Les Bières de Cervecería Cuauhtémoc-Moctezuma - Heineken Mexico
En 2017, Modelo-AB Inbev et Heineken Mexico représentaient respectivement 24,8% et 24,2% de la production de bière mexicaine, qui était de 123,4 millions de litres en 2021. 70% sont consacrés au marché intérieur, les mexicains buvant en moyenne 68 litres par personne et par an, soit 2 fois plus qu’en France. Le reste part à l’export, dont 95% pour les Etats-Unis. Le Mexique est néanmoins le leadeur mondial des exportations de bières, représentant 26,9% des volumes en 2019, soit 2 fois plus que les Pays-Bas ou la Belgique et 3 fois plus que l’Allemagne.
“El Mural Más Fino”, une oeuvre monumental de 60x15m de l'artiste surréaliste Mexicain Pedro Friedeberg en 2019 à l'extérieur de l'usine du Grupo Modelo à Mexico où est née la première Cerveza Corona. La peinture murale se veut «célébrer et décrire le travail constant et la motivation du peuple mexicain et de la marque Corona à toujours marcher vers le développement du pays» .Source : Arto Studio
La bière artisanale mexicaine aujourd’hui
La bière artisanale a connu elle aussi un boom au Mexique dans les années 2010, surtout après 2014, où l’on passe de 137 à 1462 brasseries artisanales en 2021. Une dizaine de milliers de personnes travaillent dans cette filière, dont 35% de femmes. Avec 300,337 hectolitres produits en 2021, une croissance de 25% en 1 an, le secteur de la bière artisanale ne représente que 0,24% de la production nationale.
Nombres de Brasseries Artisanales Mexicaines de 2010 à 2021 - Source : Acermex
Les états où les brasseurs sont les plus actifs et productifs sont la Basse Californie, le Nuevo leon et San Luis Potosi.
Le prix de vente des bières artisanales est d’environ 74,16 Pesos ($) mexicain (3,71 €) par litre, quand celui d’une bière industrielle est de 26,05$ (1,30€). En magasin, des promotions proposent des bières à partir de 10$ (50 cts) pour une bière industrielle de 33cl et de 40 $ (2€) pour une artisanale, quand les bars et restaurants affichent un prix variant entre 80 et 160 $ (4-8€).
"Si les prix sont si disparates, c'est parce que le consommateur paie une taxe Ad Valorem de 26,5% pour la bière, ce qui rend les produits indépendants beaucoup plus chers" explique l'association des brasseries indépendantes mexicaines, l'ACERMEX qui essaye de faire évoluer la loi depuis des années.
Concernant les matières premières, les brasseries mexicaines dépendent surtout des importations. Le Mexique produit peu de houblon, principalement dans la région de Baja California Norte ; ce sont de petites cultures qui ne couvrent pas encore les besoins des brasseurs. De l’orge est également produit dans le pays, mais la plus grande partie est destinée à la production de bière industrielle. Néanmoins des malteries indépendantes commencent à voir le jour. Des souches de levures mexicaines sont également commercialisées.
Les brasseries artisanales, cervercerias, brassent bien évidemment des lagers. Mais pour se différencier des industrielles, elles misent surtout sur des ales, avec majoritairement des IPAs et des stouts, mais également beaucoup de styles allemands.
Quelques brasseries artisanales font néanmoins d’alléchantes expérimentations avec des ingrédients locaux ou d’autres boissons traditionnelles.
Parmi les ingrédients, on retrouve bien entendu l’agave, avec par exemple la lager à l’agave de la brasserie Allende ; le maÏs, avec la Maiz Azul de La Bru qui utilise, comme son nom l’indique, du maïs bleu ; la goyave, avec la California Sour de Bossiger ; le piment, dans la Mexican Imperial Stout de Calavara qui en compte 4 : le cacao, avec la stout Lagrima Nera de Ramuri ou bien le café dans la Mil Y Un Iris, une stout au café de Veracruz ; ou dans la Carajillo Jarocho, une Milk Stout, au café de Coatepec, de la brasserie Heroica.
Brasseries Bosiger, Allende, La Bru, Heroica, Ramuri
D’autres ingrédients plus rares sont également utilisés comme le Tomoxle, les feuilles qui enveloppent les épis de maïs, ajoutés sous forme de cendre dans la stout de la brasserie Cru. La brasserie Calavara, bien connue pour ses expérimentations, produit la Sanctum une Weizen à l’Hoja Santa, poivre mexicain, et la Yule, une dark ale aromatisée notamment au Tecoyote, aubépine du Mexique, et à la goyave.
Brasseries Calavera, Cru Cru
Parmi les mashups avec des boissons nationales, on retrouve le Mezcal, comme les Mezcal IPA des brasseries Chaneque et Minerva, ainsi qu’une Imperial Stout et une Dubbel chez Calavera, de nouveau. Minerva produit également une bière à la Tequilla, l’ITA pour Imperial Tequila Ale. Enfin, le Pulque, avec une Ale éphémère de la brasserie Santamaria.
Brasseries Santamaria, Chaneque, Minerva
Ces expérimentations restent rares mais comme nous l’avons vu, la variété d’ingrédients et de boissons traditionnelles mexicaines, la prise de conscience du patrimoine culturel et gastronomique, et le besoin de différentiations ne peuvent qu’amener de nouvelles enthousiasmantes.
Les brasseries artisanales sont en plein boum en ce moment au Mexique, et sont de plus en plus distribuées dans les bars et restaurants et dans les magasins. Une émulation dans le secteur se produit comme dans nos contrées : les brasseries s’entraident et de nombreuses collaborations voient le jour. Les brasseurs mexicains se distinguent dans les concours internationaux, et le secteur se fédère autour de syndicats comme l’Acermex (Asociación Cervecera Mexicana), d’évènements comme le festival Cerveza Mexico, en octobre. Avec 129 millions d’habitants, on ne peut s’empêcher de penser que le secteur se développera fortement dans les prochaines années!
Les boissons fermentées traditionnelles mexicaines, longtemps délaissées, seront certainement une source de découvertes majeures dans le futur, tant dans les organismes permettant leurs fermentations, que dans leurs propriétés probiotiques (sans compter les non fermentées !). Les brasseurs participeront certainement à leurs (re)mises en valeur et au goût du jour. Passionnés de bières, de boissons et de fermentations, (mais aussi de culture, d’Histoire, d’art, de musique, de gastronomie…), le Mexique magique vous attend ! En tout cas, on espère prochainement des collabs entre brasseries françaises et mexicaines et des Mexican Lagers revisitées !
Vincent Ferrari - septembre 2022
Sources/Références :
Boissons Traditionelles :
Traditional Fermented Beverages of Mexico: A Biocultural Unseen Foodscape : doi.org/10.3390%2Ffoods10102390
Physical, Chemical, and Microbiological Characteristics of Pulque: Management of a Fermented Beverage in Michoacán, Mexico pdfs.semanticscholar.org/cc9f/c409b7fd6c170a43a958fb415bcbefa67c2e.pdf
Chemical and archaeological evidence for the earliest cacao beverages : pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.0708815104
Dimensions de la diversité des maïs indigènes au Mexique : journals.openedition.org/ethnoecologie/7453
Chocolate in Mesoamerica A Cultural History of Cacao : mobot-ethnobiology-jc.weebly.com/uploads/2/4/7/8/24789062/the_development_of_cacao_beverages_in_formative_mesoamerica_2006.pdf
Distillation in Western Mesoamerica before European Contact :jstor.org/stable/40686786
Lepozol: une boisson fermentée traditionnelle mexicaine réalisée à partir d’une pâte de maïs cuit à la chaux :horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers11-08/010036798.pdf
Mayahuel, The Aztec Goddess of Maguey : thoughtco.com/mayahuel-the-aztec-goddess-of-maguey-171570
Calakmul Part 6 of 6: The murals of the Ch'iik Naahb Acropolis show daily life in ancient times : cookjmex.blogspot.com/2021/05/calakmul-part-6-of-6-murals-of-chiik.html
Mural of the Drinkers : historicalmx.org/items/show/26
Mexico Desconocido : mexicodesconocido.com.mx
Bières :
Acermex - Asociación Cervecera Mexicana : acermex.org - Merci à Ariette pour les infos! :)
Apuntes para la historia de la cerveza en México : mediateca.inah.gob.mx/islandora_74/islandora/object/libro%3A754
El nacimiento de la industria cervecera en México, 1880-1910 : herzog.economia.unam.mx/amhe/memoria/simposio09/Gabriela%20RECIO.pdf
Why in Mexico is beer called a “chela”? : mexicodailypost.com/2021/05/07/why-in-mexico-is-beer-called-a-chela
Recreating an Ancient Beer of Mesoamerica :distantmirror.wordpress.com/2009/11/05/recreating-an-ancient-beer-of-mesoamerica
Salons Cerveza Mexico : cervezamexico.com
Bonus :